anticipation

Publié le 20 Mai 2019

LES SABLES DE MARS d'Arthur C. Clarke

Voici le tout premier roman d’Arthur C. Clarke, daté du début des fifties et originellement publié au Fleuve Noir. Nous sommes aux prémices de cette science-fiction spéculative et anticipative basée sur un scientisme rigoureux qui sera, par la suite, appelée la « hard science ». Clarke offre donc la description relativement minutieuse et précise d’un voyage spatial et d’une possible terraformation de la planète rouge. Idée reprise par la suite par plusieurs épigones de Clarke, notamment Kim Stanley Robinson, Ben Nova ou Stephen Baxter.

Alors qu’il n’est que débutant, l’auteur s’invite pratiquement dans son œuvre sous l’apparence de Gibson, écrivain ayant beaucoup traité de Mars dans des romans à présents dépassés d’un point de vue scientifique comme son célèbre « Poussière martienne ». Il est autorisé à se rendre sur la planète afin d’en rapporter un compte rendu de ses voyages.

Dans le vaisseau, Gibson a une intéressante discussion concernant les romans de Verne ou Wells s qui, 70 ans plus tard, s’applique également à ces SABLES DE MARS : pourquoi lire encore de la science-fiction lorsque les postulats des romans se révèlent périmés ? La SF d’anticipation proche est-elle condamnée à une rapide obsolescence et faut-il que les écrivains se tournent vers le futur le plus lointain ou la Fantasy la plus débridée? Autrement dit LES PREMIERS HOMMES DANS LA LUNE ou LA GUERRE DES MONDES doivent-ils être oubliés au seul profit de LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS pas encore dépassé par les avancées scientifiques ? On laissera les personnages (et le lecteur) en débattre. LES SABLES DE MARS lui aussi apparait anachronique (toutefois Clarke fut parfois visionnaire en datant vers 1970 l’alunissage) et l’auteur se trompa aussi lourdement, notamment sur tout ce qui concerne l’informatique quasi inexistante dans son livre. Néanmoins, malgré ses approximations scientifiques, l’histoire reste suffisamment intéressante pour que le lecteur oublie ses incohérences. Nous rencontrerons même des plantes martiennes et de petites créatures proches des marsupiaux terrestres qui aideront finalement les humains dans leur grande entreprise de terraformation de Mars. Le roman n’en aborde que les premières phases (avec, entre autres, la transformation du satellite Phobos en un second soleil capable de hâter la production d’oxygène).

Clarke maitrise sa narration et alterne grand spectacle (voyage spatial, création d’un second soleil…annonçant 2010 ODYSSEE 2), péripéties (le périple des héros dans les sables martiens et leur découvertes des natifs de la planète rouge) et discussions quasi philosophiques sur le devenir de l’humanité. Clarke y ajoute les relations compliquées entre le héros et un jeune homme, en réalité son fils (bien qu’il l’ignore). Le style, comme toujours chez l’écrivain, se montre précis, relativement simple sans verser dans le simpliste, le vocabulaire bien choisi et le métier est déjà là dans la construction de l’intrigue, les dialogues et les descriptions réussies sans devenir encombrantes (un travers qui empoisonne bien des livres hard science récents).

Roman de jeunesse de Clarke (précédé, dans l’édition ressortie chez Milady, d’une intéressante préface le remettant en perspective), LES SABLES DE MARS n’est pas le meilleur bouquin de l’auteur mais, pour un coup d’essai, on peut dire – sans parler de coup de maître - qu’il reste sacrément efficace et divertissant près de 70 ans après sa première publication.

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Arthur C. Clarke, #Hard Science, #anticipation, #science-fiction

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Publié le 6 Mai 2019

GRAVE SUR CHROME de William Gibson

Dans ce recueil de nouvelles nous retrouvons neuf textes qui firent la gloire de William Gibson et lancèrent la vague cyberpunk. A chaque fois, le lecteur embarque par conséquent dans un monde déprimant, bouffé par la technologie envahissante, dans lequel les individus, perpétuellement connectés, s’amusent à modifier leur corps par des implants et se shootent quasi en permanence. Les gouvernements ont capitulé et le pouvoir est tombé aux mains des megacorporations ultra capitalistes. Bienvenue dans la dystopie ultra-connectée du XXIème siècle.

Gibson avait démontré ses capacités de visionnaires dans ces récits (écrits avant l’avènement d’Internet) et, à l’époque, ils avaient fait l’effet d’une véritable bombe, comparable à la « new wave » de la décennie précédente, dans le petit monde de la SF. Qu’en reste-t’il aujourd’hui ? Des récits toujours intéressants, toujours actuels, pas toujours facile d’accès (non pas à cause de leur thématique - finalement très abordable - mais plutôt du style de Gibson parfois aride) mais que l’on relit avec intérêt. « Johnny Mnemonic », typique de l’auteur, reste un classique, tout comme « Fragment de rose en hologramme ». Plus original, « le genre intégré » ajoute à l’ambiance cyberpunk un climat poisseux et un fantastique quasi lovecraftien pour une fiction « weird » réussie. On continue avec « Hinterland » et « Etoile rouge blanche orbite » (pour ma part) moins convaincants.

Co-écrite avec Michael Swanwick, « Duel aérien » fonctionne de belle manière quoique son cadre (voulu futuriste) ait pris un coup de vieux (lunapark, jeu de simulation de combat,…disquettes !).

« Gravé sur chrome » reste probablement la meilleure nouvelle du recueil et un parfait témoignage du courant cyberpunk avec tous les ingrédients indispensables : affrontements de hackers dans le cyberspace, mur de glace protégeant les corporations des intrusions intempestives et trame générale inspirée par le polar hard boiled mais revisitée dans un cadre anticipatif très sombre aux influences nipponnes plus ou moins affirmées.

Aujourd’hui, le cyberpunk semble quelque peu délaissé au profit d’une littérature plus centrée sur l’évasion (steampunk, urban fantasy, etc.). Sans doute parce que la réalité a tellement rattrapé les « élucubrations » des romanciers du genre que ces intrigues n’apparaissent pratiquement plus comme de la science-fiction mais s’apparente aujourd’hui quasiment à de la chronique sociale d’un monde agonisant.

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Publié le 26 Avril 2019

J-77 (Dernier meurtre avant la fin du monde tome 2) de Ben H. Winters

Ben H. Winters livre ici le second volet de sa trilogie apocalyptique débutée avec DERNIER MEURTRE AVANT LA FIN DU MONDE.

Un gigantesque astéroïde va percuter la Terre et anéantir la quasi-totalité de l’Humanité. Nous sommes à 77 jours de l’impact…. Bruce Willis n’étant pas disponible la population se résout à l’inévitable, sachant que la plupart vont mourir. Pour les rares survivants ce sera de toutes façons l’enfer. Du coup chacun baisse les bras et se décide à vivre au maximum avec tous les excès que cela implique. Hank Palace, un flic à la retraite anticipée, accepte pourtant d’aider son ancienne nourrice à retrouver son mari mystérieusement disparu…

Ce deuxième épisode de la saga de Ben H. Winters s’avère de bonne facture mais, néanmoins, en deçà du premier. Evidemment, l’originalité de la situation n’est plus de mise ce qui constitue un sacré défi tant le mélange de thriller et de récit catastrophe rendait le premier volet passionnant.

Toutefois, la situation a évolué : là où le premier roman décrivait un monde essayant de continuer « bon gré mal gré », ce J-77 nous montre une planète à l’abandon. Découragement généralisé, marché noir pour trouver les dernières denrées disponibles, excès en tous genres, émeutes et explosions de violences… Et, bien sûr, émergence de pseudo sectes comme ces étudiants vaguement hippie qui virent le personnel de leur université, déclarent la « république » et passent leurs dernières journées dans le sexe, la drogue et le rock&roll tout en gardant des préoccupations politiquement correctes complètement stupides (calculer le pourcentage d’interventions émanant des personnes de couleur par exemple).

Si le premier volet s’inscrivait résolument dans le polar teinté d’anticipation catastrophique, ce J-77 prend davantage le chemin d’un roman apocalyptique et l’enquête policière, pas toujours très intéressante, semble accessoire. Elle sert surtout à justifier les déambulations du héros et ses rencontres avec divers personnages haut en couleur. L’auteur pose aussi la question des réactions face à l’inéluctable et pour le héros, droit dans ses bottes, il est « impossible de trahir ses promesses simplement parce que c’est la fin du monde ». Guère optimiste sur l’Humanité (mais surement très réaliste), l’auteur observe la dissolution complète de la civilisation à l’approche de l’anéantissement total. Malgré les défauts de ce second volume en demi-teinte on est suffisamment impatient pour ne pas trainer à lire l’ultime volet, IMPACT.

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Polar, #Policier, #Thriller, #anticipation, #Catastrophe

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Publié le 10 Avril 2019

UNE HISTOIRE DE LA SCIENCE FICTION TOME 5 de Jacques Sadoul

Dès l’introduction, Sadoul rappelle les espoirs déçus de la SF française qui, après une belle embolie avec les collections Fleuve Noir Anticipation et Le Rayon Fantastique, suivies par Ailleurs et demain et les magazines comme Fiction, semble ne plus intéresser le public au début des seventies. Il faut dire que la pseudo SF « écolo-gaucho anti-américaine » était passée par là et qu’excepté les sympathisants communistes (une espèce aujourd’hui heureusement en voie d’extinction), peu de lecteurs voulaient perdre leur temps à lire de telles inepties dans lesquels le message (camarades de tous pays unissez-vous !) passé toujours avant l’accessoire (intrigue, style, originalité,…) .

On débute par une histoire très plaisante et humoristique de Gérard Klein, « Civilisation 2190 » et on poursuit avec un texte « à chute » (un peu attendue) de Julia Verlanger, « Le mal de dieu ».  Michel Demuth avec « L’empereur, le servile et l’enfer » signe une nouvelle efficace également reprises dans LES ANNEES METALLIQUES. « Le bruit meurtrier d’un marteau piqueur » de Curval s’avère lui aussi intéressant, tout comme le très bizarre (et en fait très typique de l’auteur) « Funnyway » de Brussolo. On retrouve le Brussolo de ses débuts, lorsqu’il partait d’une idée visuelle déjantée pour l’exploiter jusqu’à l’absurde. Plaisant (davantage que certains de ses romans qui s’essoufflent sur la longueur).

On poursuit avec des textes efficaces de Dunnyach et Wintrebert, sans oublier le vétéran Michel Jeury qui signe l’excellent « Machine donne ». De son côté, Ayerdhal propose un très plaisant « Scintillements » en hommage à Pierre Bordage, lequel clôt ce recueil avec un « Tyho d’Ecce » écrit spécialement pour l’occasion (mais par la suite repris dans son recueil NOUVELLE VIE TM), un très réussi space opera anti militariste.  

Bref, si le recueil n’aligne pas les classiques comme pouvait le faire les quatre volumes consacrés à la SF américaine et que certaines omissions paraissent difficiles à expliquer (en particulier Andrevon), cette ultime livraison reste une addition indispensable pour les curieux.

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Publié le 1 Avril 2019

UNE HISTOIRE DE LA SCIENCE-FICTION, TOME 4 de Jacques Sadoul

Ce tome débute par un état des lieux de la science-fiction dans une époque en mutation, alors qu’elle ploie sous les assauts de la sci-fi (autrement dit la SF commerciale déclinant des licences comme « Star Trek » ou « Star Wars ») et d’une Fantasy facile inspirée par le jeu de rôle. Cependant Sadoul ne passe pas à côté des mouvements alors en vogue comme le cyberpunk et le steampunk. Le pape du cyber, William Gibson, illustre évidemment ce courant avec son classique « Gravé sur chrome » autrefois disponible dans le recueil du même titre. Autre grand auteur du cyberpunk, Bruce Sterling livre un « Maneki Neko » qui lui valut le Locus.

On débute donc avec « Gravé sur chrome » de Gibson qui reste un parfait témoignage du courant cyberpunk avec tous les ingrédients indispensables : affrontements de hacker dans le cyberspace, mur de glace protégeant les corporations des intrusions intempestives et trame générale inspirée par le polar hard boiled mais revisitée dans un cadre anticipatif et dystopique très sombre. Une excellente entrée en matière pour les novices tant « Gravé sur chrome » s’impose en véritable distillat de ce que fut le cyberpunk des années 80.

« Venise engloutie » de Kim Stanley Robinson est, de son côté, un très beau texte de science-fiction réaliste, typique de l’auteur, qui imagine ici les conséquences prévisibles de la montée des eaux et des bouleversements climatiques. L’auteur suit un guide conduisant, dans une Venise engloutie, deux touristes japonais aux allures de modernes pilleurs de tombe. Ce texte, que l’on a déjà pu lire dans l’anthologie UNIVERS 86 ou dans le recueil de Kim Stanley Robinson LA PLANETE SUR LA TABLE, reste un classique de haute volée et se relit toujours avec le même plaisir !

Après un court récit de Stephen Baxter, Connie Willis livre avec « Ado » une satire (de plus en plus plausible) des dérives induites par le politiquement correct, les féministes, les groupes de pression diverses et les tenants de l’écriture inclusive, ramenant une pièce de Shakespeare à une poignée de répliques anodines afin de ne froisser aucune sensibilité. Un texte encore plus crédible et prophétique qu’à l’époque de sa rédaction dans les années ’90. Belle  réussite là encore.

Le texte qui valut le Locus à Sterling était jusqu’ici uniquement disponible dans la revue Galaxie, il est donc intéressant de pouvoir le lire dans ce recueil, d’autant qu’il s’agit d’une belle réussite du cyberpunk. « Maneki neko » combine tous les éléments du genre (ambiance sombre, intrigue polar, influence de l’espionnage, fascination pour le Japon) et les innovations technologiques prophétiques (notamment le Secrétaire Numérique qui anticipe les applications de smartphone) en un ensemble harmonieux et accessible. Car l’anticipation proche du cyberpunk se rapproche chaque jour davantage de notre monde actuel qui, parfois, a même  dépassé les « élucubrations » de ces écrivains des années 80.

Enfin, « le styx coule à l’envers » signait l’entrée en littérature de Dan Simmons : une nouvelle traitant des zombies de manière originale et réussie, un beau coup d’essai !

Sadoul, une fois de plus, a eu le nez creux en sélectionnant quatre auteurs qui ne bénéficiait pas encore de la reconnaissance ultérieure dont ils jouissent aujourd’hui : Kim Stanley Robinson, Stephen Baxter, Connie Willis et Dan Simmons. L’ensemble, de grande qualité, constitue donc un nouveau recueil incontournable à prix dérisoire, comme les trois précédents. Incontournable.

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Publié le 29 Mars 2019

UNE HISTOIRE DE LA SCIENCE-FICTION TOME 3 de Jacques Sadoul

Ce tome 3 aborde une période charnière : la fin des magazines, la prise de pouvoir de l’édition de poche, la sortie de nombreux classiques (DUNE, ELRIC LE NECROMANCIEN), les tentatives de SF engagée, politique ou expérimentale (avec la new wave britannique), la domination du cinéma (de 2001 à « Rencontres du 3ème type » en passant par les phénomènes « Star Wars » et « Star Trek ») et l’arrivée de nouveaux auteurs décidés à ruer dans les brancards comme Ellison, Spinrad ou Dick, sans oublier le retour d’un courant appelé à devenir ultrapopulaire : la Fantasy.

Après une courte mais intéressante introduction dans laquelle Sadoul brosse un panorama de la foisonnante SF américaine et fustige les tentatives « nombrilistes et politiques » de l’infâme SF française engagée à gauche qui réussit seulement à « détourner les lecteurs », l’anthologie commence avec le célèbre « Lumière des jours enfouis » de Bob Shaw. Une très belle nouvelle poétique qui illustre bien les diverses voies empruntées alors par la SF et que Shaw développera dans LES YEUX DU TEMPS. L’auteur traite ici d’un « verre lent » qui capte la lumière pour plusieurs années et révèle ainsi des paysages depuis longtemps disparus.

Le trublion Harlan Ellison nous offre un de ses classiques, devenu difficile à trouve (précédemment publié dans un recueil de 1979) « La bête qui criait amour au cœur du monde », vainqueur du Hugo de la meilleure nouvelle. Pour ma part je reste souvent hermétique à Ellison et à son mélange de provocation, d’humour grinçant et de surréalisme science-fictionnel. Ce texte ne fait pas exception.

« La fourmi électrique » constitue une nouvelle typique de Philip K. Dick et traite donc de la question de l’humanité pour les « hommes électriques » (on pourrait aussi les nommer réplicants). Plaisant mais Dick reviendra fréquemment sur ce thème et fera mieux ensuite.

« Ceux qui partent d’Omelas » a été très souvent publié mais ce n’est que justice pour cet excellent texte d’Ursula K. Le Guin d’ailleurs récompensé par un Hugo, un récit symbolique, utopique et philosophique d’une grande richesse en moins de dix pages. Chapeau bas.

Autre récipiendaire d’un Hugo, Carolyn Cherryh et son « Cassandra », un court récit effectivement convaincant.

Norma Spinrad nous propose une nouvelle plus originale et quelque peu expérimentale, « L’Herbe du temps », au sujet d’une drogue qui abolit l’impression de chronologie linéaire du temps. Le narrateur devient donc un individu existant en continu dans un espace infini de 110 ans. Une excellente réussite, le deuxième chef d’œuvre de ce recueil après le récit de Le Guin.

Robert Silverberg, un des monuments de la science-fiction, livre un « Groupe » précédemment publié dans le recueil HISTOIRES DE SEXE FICTION, un récit correct sans être transcendant au sujet de partouzes futuristes connectées.

Enfin, Orson Scott Card termine ce recueil par un exceptionnel « Sonate sans accompagnement », une nouvelle d’une grande originalité servie par une belle écriture et qui mérite l’inclusion dans toutes les lites « best of » de la SF. Le troisième chef d’œuvre de ce recueil (qui ne compte que 128 pages!!!).

Voici donc une très belle sélection de nouvelles assorties de présentations pertinentes vendue à un prix dérisoire et qui ne compte pas moins de trois prix Hugo. Faudrait être fou pour s’en priver !

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Publié le 1 Mars 2019

LE REGARD de Ken Liu

Après l’exceptionnel L’HOMME QUI MIT FIN A L’HISTOIRE, Ken Liu (chouchou des éditions Le Belial) revient dans la formidable collection « Une heure lumière » avec une novella de haute volée mélangeant polar cyberpunk et anticipation.

L’écrivain nous propose ici de découvrir une détective, Ruth Law, « améliorée et augmentée » par diverses technologies illégales qui accroissent ses capacités. Elle porte aussi un « régulateur », un gadget capable de gérer ses émotions et de lui assurer une neutralité complète lors de ses enquêtes. Le seul moyen pour Ruth de surmonter un drame personnel. Le « régulateur » ne peut, normalement, être utilisé qu’un temps limité par jour mais Ruth le laisse fonctionner en permanence afin d’anesthésier totalement ses émotions. Cela va lui être bien utile pour une nouvelle investigation : retrouver le meurtrier d’une prostituée asiatique énuclée par un serial killer mystérieux. Mais cela risque également de la détruire psychologiquement.

Avec cette longue nouvelle (ou court roman) situé à Boston dans un futur proche, Ken Liu s’inscrit dans la tradition des polars science-fictionnelles conjuguant une ambiance de films noirs à l’anticipation cyberpunk. A la manière du classique BLADE RUNNER ou des plus récents CARBONE MODIFIE et QUANTUUM, Ken Liu empreinte aux policiers « hard boiled » d’antan (Chandler, Spillane, etc.) une intrigue complexe (meurtre de prostituées par un tueur en série aux motivations apparaissant peu à peu) et l’infuse dans un univers à la fois futuriste et crédible. Sa principale innovation réside dans ce « régulateur » d’émotions portée par l’enquêtrice, forcément dépressive et marquée par un tragique événement personnel. Une manière d’apporter l’originalité de la SF cyberpunk à un récit sinon classique quoique très efficace.

Si l’auteur n’évite pas certains clichés, il démontre également sa capacité à ficeler une intrigue à la fois intelligente et divertissante auquel on pardonnera, par conséquent, l’une ou l’autre invraisemblance ou facilités. En alternant les points de vue de la détective « augmentée » et ceux du tueur en série, Ken Liu maintient l’intérêt au fil d’un récit enlevé qui, sous couvert d’une enquête classique, pose des questions sur le futur proche de l’humanité et ce fameux transhumanisme si cher aux auteurs cyberpunk.

Beaucoup moins ambitieux que L’HOMME QUI MIT FIN A L’HISTOIRE, ce REGARD n’en demeure pas moins un texte très plaisant qui confirme tout le bien que l’on pense de ce nouveau cador de la science-fiction.

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Publié le 27 Février 2019

CEUX QUI SAURONT de Pierre Bordage

Vétéran de la SF française, Bordage s’essaie ici au genre populaire (mais casse gueule) de l’uchronie, lequel nécessite, pour être réussi, une belle imagination mais également de solides connaissances historiques. Il décrit un monde dystopique dans lequel la Révolution Française a échoué, creusant les inégalités entre les nantis et le reste du peuple. Les premiers possèdent richesses et technologies (un réseau proche d’Internet, les voitures, les avions, etc.) ainsi que l’accès à la connaissance, les autres, surnommés « Cous Noirs » sont des travailleurs privés de l’éducation et qui travaillent pour des sommes dérisoires. Le roman va donc alterner la description de ces deux univers antagonistes en se centrant sur deux adolescents que tout oppose. D’un côté Clara, jeune fille issue de la noblesse et promise à un mariage d’intérêt qui s’ennuie en écoutant son précepteur et rêve de voyages. De l’autre Jean, travailleur manuel suivant des cours dans une école clandestine.

Bordage possède indéniablement du métier et du talent. Il use ici d’une structure classique (alternance entre deux protagonistes qui se rejoindront au final) pour dynamiser un récit intéressant développant une uchronie originale. Bien sûr on peut parfois tiquer sur la complète crédibilité du monde proposé (notamment en ce qui concerne le reste de la planète à peine évoqué quoique le Califat moyen-orientaux ait récemment privé l’Occident de son pétrole) mais l’ensemble tient la route. Bordage énumère les principaux événements de cette histoire alternative dans laquelle une Seconde Restauration ramène la monarchie au pouvoir avant que Jules Ferry ne soit exécuté sous la poigne inflexible de Philippe VII avec la bénédiction du clergé.

Le récit lui-même donne plus volontiers dans le feuilletonnesque et privilégie l’aventure avec sa demoiselle en détresse enlevée à son futur mari, son jeune homme capturé après l’exécution publique de son père, ses guerres de gangs et de territoires, ses tempêtes, ses péripéties nombreuses et variées. Si on devine l’auteur désireux d’offrir une parabole sur la société actuelle et une réflexion politique sur la place de l’instruction il n’en oublie pas, heureusement, de proposer un vrai bon bouquin. On se souviendra, en effet, des laborieux livres de SF francophones engagés (à gauche cela va sans dire) qui tenaient davantage du pamphlet destiné aux réunions des cocos anonymes (espèce heureusement en voie d’extinction si ce n’est disparue) que de réels récits d’anticipations. Un travers dans lequel ne tombe pas un Bordage qui parviendrait presque à nous convaincre des bienfaits de la grande boucherie de 1789. Presque.

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Publié le 8 Février 2019

COSMIC EROTICA présenté par Jean-Marc Ligny

Cette anthologie, dirigée par Jean-Marc Ligny, donne la plume à une quinzaine d’écrivains…tous des femmes ! Autre point commun des textes : traiter de la sexualité avec, ou non, une intention érotique. Bien évidemment, comme tous les recueils de nouvelles, cette « anthologie féminine » s’avère inégal et alterne le bon et le moins convaincant. Les premiers textes laissent d’ailleurs circonspects : celui de Poppy Z. Britte ne propose rien de bien innovant par rapport à ses précédentes œuvres et celui de Pat Cadigan n’est pas vraiment réussi.

Heureusement la suite relève le niveau avec l’excellent, très hard et humoristique « Prix coûtant » de Carol Ann Davis et ses jeunes filles élevées façon poulet (ou plutôt poule) en batterie pour répondre à tous les désirs des hommes. De la sexe-science-fiction bien crue mais sans verser dans l’excès. Sylvie Denis imagine, elle, un « Carnaval à Lapètre » ou, dans une ambiance légère et sur un ton volontiers sexy, elle s’attaque aux coutumes absurdes de l’excision et l’infibulation encore pratiquées, dans un avenir indéterminé, par des religieux arriérés. La suite est plaisante avec Sara Docke, Jeanne Faivre d’Arcier et une Anne Deguel que l’on a cependant connue plus inspirée. Kathe Koja propose, pour sa part, une histoire d’anges amoureux sensuelle et bien troussée (hum !) et Tanith Lee donne, sans surprise, dans la fantasy.

Un des meilleurs récits, signé Birgit Rabisch, propose avec « inversion, jeu de miroir » une anticipation plausible sur les dérives de l’eugénisme. Dans un monde où tous les individus se ressemblent (il ne reste que trois « types » standards) et où la moindre imperfection conduit - au mieux - à un camp de concentration, un homme sent naitre une attirance incestueuse pour sa sœur « imparfaite » qu’il garde cloitrée et observe à travers un miroir sans tain. Avec ses références aux situations et fantasmes classiques des romans érotiques d’antan et sa thématique d’actualité ce récit que l’on pourrait résumer par une variation hard de « Bienvenue à Gattaca » mérite à lui seul l’achat de l’anthologie.

Plus classique mas cependant efficace, Valérie Simon, dans « Le loup », traite des conséquences d’un viol commis envers une sorcière qui décide qu’un homme se comportant en loup mérite de devenir lui-même…un loup. Connie Willis et Joelle Wintrebert ferment l’anthologie avec deux textes aux antipodes : le premier, très cru, traite de l’inceste et de la frustration sexuelle, le second confronte une femme aux résultats de son combat d’antan dans un monde ayant éliminé tous les hommes.

Dans l’ensemble, ce recueil se montre intéressant, les textes les plus réussis compensant pour les plus faibles. Il parvient surtout à donner une photographie pertinente des récits féminins traitant de l’imaginaire au tout début des années 2000. Passant des auteures débutantes aux incontournables (Tanith Lee, Poppy Z. Brite, Connie Willis), du fantastique à la science-fiction en passant par l’horreur, de l’érotisme à l’anti-érotisme, voici une compilation variée et globalement satisfaisante que l’on se plait à picorer.

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Publié le 1 Février 2019

LE PASSAGE de Justin Cronin

La première chose qui frappe devant le bouquin c’est, forcément, son épaisseur. Une brique ! Même au sein d’une science-fiction souffrant de plus en plus d’éléphantiasis, le roman de Justin Cronin détonne avec (en poche) ses 1260 pages bien tassées. Et il s’agit seulement du premier tome d’une trilogie apocalyptique accumulant les superlatifs et s’étendant sur près de 3 000 pages.

Une fois la lecture entamée, on constate également que l’auteur semble totalement imprégné des codes de la série télévisée. Si on a souvent dit des auteurs de best-sellers de la fin du XXème siècle qu’ils écrivaient « à la manière d’une superproduction hollywoodienne » dont ils avaient intégré la narration alors Cronin propose peut-être la première « série télé » sur papier. Pas étonnant d’ailleurs que les droits aient été acquis (avant même la publication du livre !) par Ridley Scott qui songeait à en tirer trois films…avant qu’une adaptation pour les petits écrans soit lancée début 2019.

Au programme : multiplication des personnages, abondance des lignes narratives destinées à se rejoindre à mi-parcours, temporalité étirée avec plusieurs bonds temporel (l’intrigue se déroule sur plus d’un siècle !),…

Tout débute dans un futur très proche. Tandis qu’un commando militaire traque des individus atteints d’une étrange maladie, au Texas un condamné à mort et onze autres prisonniers sont choisi pour participer à une expérience médicale révolutionnaire. Mais, bientôt, un virus est libéré, se propage sur la planète entière et aboutit à un effondrement total de la civilisation, dévastées par des hordes d’infectés avides de sang. Un siècle plus tard, une petite communauté survit face à ces « vampires ». Surgit alors une « fille de nulle part », apparemment âgée de 14 ans mais en réalité né un siècle auparavant…Elle possède peut-être la clé permettant de relancer la civilisation.

La première partie, la plus prenante, propose une série d’expériences top secrètes menées par l’armée américaine. Le mystère est prenant, les personnages bien caractérisés, le background étoffé sans devenir envahissant. Impossible de ne pas penser à Stephen King engagé pour écrire un épisode de X Files (comment ça il l’a fait ? Bref…).

La suite se déroule après un bond de près de cent ans. L’apocalypse a eu lieu, l’humanité a tenté de survivre, la Californie a quitté l’union, l’Europe a fermé ses frontières mais rien n’a pu empêcher l’effondrement. Du coup, au début du XXIIème siècle, les hommes survivent dans des petites colonies retranchées comme des forteresses féodales. Le retour à l’âge des ténèbres s’annonce puisque tout va bientôt s’éteindre… « Mad Max » dans « La Nuit des morts vivants » ou « Je suis une légende ». Des infectés, des « vampires », des viruls (dénomination officielle),…la fin du monde est là et bien là. Bref, on entre dans le survival horrifique post-apocalypse façon blockbuster hollywoodien. Cette partie reste intéressante mais n’évite pas quelques baisses de rythme, le romancier se perdant parfois dans ses (trop) nombreux protagonistes certes habilement brossés mais qui n’évitent pas toujours les lieux communs (romance contrariée, infidélité,…). Avec les gardes protégeant la colonie LE PASSAGE s’apparente parfois à une relecture de certains chapitres du TRONE DE FER dans l’univers de « Walking Dead ».

Les plus critiquent dirons même que le bouquin s’apparente parfois à un de ces romans de gare des années ’80 (souvenez-vous des collections « Apocalypses » ou « Le Survivant » avec leurs titres tapageurs comme LES MURAILLES DE L’ANGOISSE ou ENFER CANNIBALE) à la différence que Justin Cronin étire son récit non pas sur 200 pages mais sur 1200. Mais ne faisons pas trop la fine bouche : en dépit de sa longueur et de certaines longueurs (comme dans une série il y a fatalement des intrigues et des personnages moins intéressants – de manière subjective), la lecture de ce roman reste fluide et agréable, quoique certains passages puissent exaspérer par leur lenteur. On peut donc se permettre de les survoler…

Si certains, qui « binge watch » des séries, voudront s’enfiler ce pavé d’une traite les plus raisonnables peuvent opter pour une lecture fractionnée en trois ou quatre fois, histoire de raviver l’intérêt pour un roman sans doute plaisant mais incontestablement trop long d’au moins 300 pages.

Loin d’égaler le classique LE FLEAU de Stephen King qui demeure le mètre étalon du post apocalypse littéraire, LE PASSAGE demeure efficace et trouvera certainement son public. Mais, maintenant que la boucle est bouclée et que le bouquin est devenu une série peut-être serait il plus judicieux de passer directement à l’adaptation télévisuelle.

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