Publié le 6 Mars 2020

OEUVRES TOME 3 de Howard Phillips Lovecraft et August Derleth

Si cette dernière anthologie rassemble les textes de Lovecraft concernant les « Contrées du Rêve » (avec quelques classiques comme « la quête de Kadath »), le gros morceau de ce recueil se consacre aux « collaborations » entre HPL – August Derleth. Soit plus de 600 pages en (très) petits caractères qui permettent une vue globale de l’évolution du mythe de Cthulhu à la suite du décès de HPL.

Outre des récits tirés des précédents recueils disponibles en français (L’OMBRE VENUE DE L’ESPACE, le roman LE RODEUR DEVANT LE SEUIL, LE MASQUE DE CTHULHU, LA TRACE DE CTHULHU), l’anthologie offre des textes moins facilement accessibles rassemblés sous l’intitulé LES VEILLEURS HORS DU TEMPS, une traduction de l’ultime recueil de Derlteth, « The Watchers out of time » jusqu’ici inédit en français. Si le célèbre « La chambre condamnée » était proposé dans le recueil L’AMULETTE TIBETAINE (et précédemment dans « Histoires insolites ») « Le pêcheur du Falcon Point », « Le trou des sorcières », « L’ombre dans la mansarde », « Les frères de la nuit », « L’horreur de l’Arche centrale », « L’argile bleue d’Innsmouth » et « Les veilleurs hors du temps » seront autant de découvertes pour l’amateur.

« La chambre condamnée » est typique de Derleth, une séquelle lointaine de « L’abomination de Dunwich » de Lovecraft. Guère original mais plutôt efficace. Nous sommes à Dunwich et nous retrouvons un certain Abner Whateley ayant hérité (bâillement) des papiers de son grand-père Luther et d’un vieux moulin transformé en lieu de résidence. Rien de franchement transcendant pour les lecteurs de Lovecraft qui devinent la suite des événements mais la nouvelle, très linéaire, se lit sans déplaisir. Elle fut assez médiocrement portée à l’écran sous le titre « La malédiction des Whateley ».

« Le pêcheur du Falcon Point », beaucoup plus courte, traite, une fois de plus, des amours contre nature entre les humains et ceux des profondeurs. Derleth réussit une sorte de plaisant « conte de fées » macabre plutôt agréable à lire.

Le problème de Derleth, dans ses pastiches lovecraftien, a souvent été de tourner autour des mêmes thématiques, reprenant des éléments tirés du fameux « Livre de raison » de Lovecraft (pour justifier le principe de la « collaboration » post mortem) en les incluant dans des « remakes » déguisés des histoires les plus connues du Maitre. « Le trou des sorcières » n’échappe pas à ce travers mais demeure une des plus belles réussites de l’écrivain. Un jeune professeur débarque dans une école rurale d’Arkham et se confronte à un jeune garçon manifestement « différent », Andrew Potter. Peu à peu le narrateur arrive à la conclusion que la famille d’Andrew est sous l’influence d’une force maléfique provenant des étoiles (Hastur probablement) et, avec l’aide d’un collègue et des fameuses pierres portant le sceau de R’lyeh, il tente de combattre cette influence nuisible. Si, de prime abord, « Le trou des sorcières » ne se distingue aucunement des nombreuses autres « collaborations » entre Derleth et Lovecraft en ressassant des thématiques déjà abordées par HPL (l’histoire mélange des éléments du « Monstre sur le seuil » et de « La couleur tombée du ciel »), le tout fonctionne parfaitement. On y retrouve un Derleth à son meilleur, plus terre à terre que son mentor, plus bis sans doute, plus classique aussi (avec l’opposition du Bien et du Mal et les talismans permettant de s’en protéger) mais rudement efficace.

De son côté, « L’ombre dans la mansarde » débute de manière conventionnelle : le narrateur, Adam Duncan, hérite de son grand-oncle (bâillements à nouveau) à la réputation sinistre (sorcellerie, grimoires maudits, disque de Gims,…on connait la chanson) une maison à Arkham, la ville aux « toits en croupe ». Bref, rien de franchement original : Derleth reprend sa bonne vieille technique du « mash up littéraire » en combinant des éléments venants de « La maison de la sorcière », « L’affaire Charles Dexter Ward », « Le monstre sur le seuil », etc. Le tout se lit sans déplaisir ni passion. A noter cependant un discret soupçon d’érotisme habituellement absent des récits de Derleth.

Peut-être la plus originale des nouvelles, « Les frères de la nuit » voit le narrateur, Arthur Phillips, rencontrer, à Providence, Edgar Allan Poe…puis plusieurs Poe…Forcément cela cache quelque chose. Voici un récit divertissant qui, pour une fois, ne semble pas décalqué une nouvelle antérieure de Lovecraft. Certes, tout n’est pas toujours réussi (le plan général des extraterrestres parait aussi folklorique que le fameux « Plan 9 » de Ed Wood) mais la bizarrerie de voir une série de clones d’Edgar Poe hanter Providence en invoquant les Grands Anciens démontre un talent certain pour l’humour absurde et le twist final constitue une belle réussite. De plus, les clins d’œil à HPL sont ici bien intégrés sans paraitre plaqués sur l’intrigue ou envahissants. « Les frères de la nuit » mérite vraiment l’attention, quel dommage que Derleth n’ait pas signé davantage de textes de ce style.

Avec « L’horreur de l’Arche centrale » nous retrouvons le Derleth le plus classique, le plus critiqué (et le plus critiquable) qui, en partant d’une courte notice de Lovecraft dans son « Livre de raison » ressort la grosse artillerie. Ambrose Bishop a hérité d’une maison située à Dunwich qui appartenait jadis à son grand- oncle Spetimus (et re bâillements) disparu depuis 1929 suite aux événements mystérieux mais bien connus contés par HPL. Et on repart pour l’hostilité des villageois, les « choses maléfiques » revenant à la vie, etc. Une recette déjà éprouvée dans « La chambre condamnée » et « L’ombre de la mansarde » dont cette nouvelle constitue une simple resucée. Autant dire qu’on est content d’arriver au bout.

« L’argile bleue d’Innsmouth » s’inspire apparemment d’une note du « livre de raison » de Lovecraft mais son thème n’est guère original et remonte à la mythologie et aux croyances ancestrales (façon Golem) avec ce jeune artiste qui, après divers rêves érotiques au sujet d’une déesse aquatique, soupçonne une statue façonnée dans une argile venue d’Innsmouth de prendre vie. Rien d’original mais un petit récit plaisant et gentiment sexy qui se lit sans ennui. C’est déjà pas mal.

« Les veilleurs hors du temps », publié initialement par Arkham House en 1974, demeure la dernière nouvelle de Derleth. La mort empêcha d’ailleurs le romancier de la terminer et nous sommes par conséquent en présence d’un texte incomplet…et donc à réserver aux complétistes (hum !).

Près de 400 (!) pages supplémentaires terminent cette somme avec des articles divers qui font de ce troisième volume un nouvel incontournable pour les fans de l’écrivain et, plus généralement, de fantastique « old school ».

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Publié le 3 Mars 2020

CERES ET VESTA de Greg Egan

Greg Egan a signé d’excellentes nouvelles de science-fiction tendance Hard Science reprises par exemple dans le recueil AXIOMATIQUE. La collection « Une heure lumière » nous propose ici un texte plus long, une novella (ou roman court, long d’une centaine de pages) au sujet de deux astéroïdes colonisés par l’Homme, Cérès et Vesta. Sur ce dernier se développe peu à peu une haine envers une des classes, les Sivadiers, descendants des colons n’ayant œuvré au bien-être commun « que » par des découvertes et du travail « intellectuel ». Un fait accepté depuis longtemps mais à présent remis en question par la classe gouvernante qui leur impose de payer un impôt de « privilégiés ».

On le devine, l’auteur jongle ici avec les questions de l’exclusion, d’autant que les Sivadiers sont immédiatement reconnaissables et que leurs efforts de résistance ont bientôt des conséquences dramatiques. La futilité de l’origine de la querelle illustre, avec un certain détachement mais aussi une pertinence très actuelle, les mécanismes sociaux et l’effet de meute, faisant immédiatement du roman une parabole assez transparente de l’antisémitisme.

Si le message est efficace et le monde futuriste bien pensé, Egan ne semble pas très à l’aise dans la construction de ses protagonistes, assez schématiques. Leurs actions ne sont pas toujours très crédibles non plus (en particulier pour le personnage de Camille) même si elles restent acceptables d’un point de vue dramatique (et relativement plausibles dans des situations de crise).

Le principal problème réside toutefois dans la construction du récit : celle-ci ne parait pas franchement claire de prime abord et le lecteur peut s’y sentir perdu. L’ensemble est même quelque peu confus avec les changements de point de vue, de lieu, d’époque, ou des concepts pas toujours abordables (du moins sur le moment) comme celui des « surfeurs ». Bref, on ne comprend véritablement les enjeux que durant les dernières pages, non pas en raison de la complexité des notions théoriques mais simplement par la faute d’une construction touffue (ou embrouillée diront les mauvasies langues).

Bref, on sent ici le potentiel d’un récit ambitieux mais peut-être pas complètement abouti. Egan semble assis entre deux chaises entre une nouvelle strictement « d’idées » comme l’auteur s’en est fait le chantre ou, au contraire, un roman plus touffu et creusé au niveau de ses personnages. Le format de la novella (pourtant souvent stimulant pour l’auteur de SF) parait donc, cette fois, inadapté. Trop court ou trop long, CERES ET VESTA se lit sans déplaisir ni véritable implication… Ce qui, pour un auteur d’un tel calibre, s’appelle une déception.

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Hard Science, #Roman court (novella), #anticipation, #science-fiction

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