Avec DARKNESS AND DAWN nous plongeons aux origines de la science-fiction puisque la première publication de ce roman date de 1912. Le succès fut d’ailleurs au rendez-vous et l’auteur enchaina avec deux séquelles, le tout formant une trilogie fréquemment rééditée outre-Atlantique et tenue à présent pour un incontournable de « l’âge d’or ».
L’ingénieur Allan Stern et la secrétaire Beatrice Kendrick se réveillent dans un New York dévasté. Ils découvrent qu’ils sont, en apparence, les derniers survivants d’un cataclysme indéterminé. Mystérieusement plongés en animation suspendue durant huit siècles, nos héros vont devoir se battre pour rester en vie dans ce monde retourné à la barbarie hanté par des tribus de féroces mutants cannibales.
Voici de la science-fiction typique du pulp, avec son rythme soutenu, ses héros dénués du moindre défaut, sa romance désuète et son style littéraire rudimentaire. Les incongruités du roman feront, bien sûr, sourire aujourd’hui : les denrées sont toujours comestibles après huit siècles (car elles sont conservées dans des bocaux en verre !), les pistolets fonctionnent toujours sans difficulté, etc.
On note aussi la naïveté générale (seuls et à demi nu nos héros mettent des semaines - et tout le bouquin – pour se donner un bisou) et le côté « plus grand que nature » de notre valeureux dernier survivant masculin. Ce-dernier sait à peu près tout faire et n’a rien à envier aux plus grands experts survivalistes, bref avec un tel spécimen d’Humain nul doute que la civilisation puisse repartir rapidement sur de bonnes bases. L’américano centrisme se révèle, lui-aussi, amusant puisque nos Adam et Eve du futur admettent rapidement (et à vrai dire sans aucune preuve) être les seuls survivants de l’apocalypse : en effet, s’il en existait d’autres ces derniers seraient, forcément, venus vivre à New York, capitale mondiale de l’art et de la civilisation.
Evidemment, époque oblige, le roman développe un racisme décomplexé : nos héros découvrent, horrifiés, que les êtres simiesques sont non seulement des cannibales, des mutants et des dégénérés mais, que, pire que tout, ce sont des….Noirs. Heureusement ceux-ci se souviennent, texto, « du pouvoir et de la domination de l’homme Blanc ». Quoiqu’ils utilisent des sagaies et tapent sur des bambous (pardon des tamtams) preuve évidente de leur barbaries (« ce sont des sauvages » déclare immédiatement l’héroïne), nos pseudo Morlocks respectent les coups de pistolets de leurs maîtres : « nous n’avons rien à craindre, nous sommes des dieux pour eux ».
Tout cela peut paraitre atrocement daté mais, en réalité, ces éléments incongrus confèrent un charme suranné à ce petit bouquin sinon très classique. Quoique l’auteur s’inspire manifestement de LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS, il anticipe sur de futurs classiques de la science-fiction (notamment LA PLANETE DES SINGES) et, plus encore, sur les bouquins « post nuke » qui fleurirent dans les halls de gare des années ’80 comme la série LE SURVIVANT. On constate, en effet, qu’en près d’un siècle rien n’a changé dans la littérature post-apocalyptique : deux survivants qui ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam (hum !) vont s’organiser, partir à la chasse (au propre comme au figuré), rassembler les vestiges fracassés de la civilisation, tenter de découvrir d’autres humains et se heurter à des tribus de mutants cannibales dont ils finissent par triompher en usant de la force mais aussi de leurs connaissances scientifiques.
L’auteur étant un fervent socialiste (nul n’est parfait), le bouquin se conclut logiquement par un vibrant discours censé donner le rouge au cœur du lecteur : l’homme du futur se promet d’abattre « l’oisiveté de l’aristocratie » et de bâtir une société plus juste et égalitaire. Bref, le matin du grand soir est enfin arrivé et, finalement, cette apocalypse (dont on ne saura rien) n’apparait pas si négative puisqu’elle a permis le triomphe du socialisme. C’est tellement beau que, pour un peu, on se mettrait à chanter « c’est la turlute finale ».
Si DARNESS AND DAWN peut sembler complètement ringard, dépassé, anachronique ou ridicule, il offre, malgré tout, une lecture divertissante et efficace, bien aidé par une longueur judicieuse (un peu moins de 150 pages). Pour un petit roman « pulp » de plus d’un siècle, le tout fonctionne encore agréablement dans les limites de ses ambitions. Pas sûr que beaucoup d’oeuvrettes du même style mais beaucoup plus récentes supportent aussi bien l’épreuve du temps. Un bon moment pour les curieux, à redécouvrir en français dans l’anthologie de Jacques Sadoul « les meilleurs récits de Famous Fantastic Mysteries » qui, pour rester dans le ton de ce magazine, agrémente ce roman de trois nouvelles de Francis Stevens, Abraham Merritt et Ray Cummings.