prix hugo

Publié le 19 Septembre 2018

L'HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE de Ken Liu
L'HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE de Ken Liu

Dans un proche avenir deux scientifiques, le Chinois Evan Wei et son épouse d’origine japonaise Akemi Kirino, parviennent à mettre au point une machine à voyager dans le temps. Mais ces déplacements temporels sont soumis à diverses restrictions : on ne peut retourner qu’une seule fois à une époque donnée et il est impossible de modifier les événements. Cette invention va notamment permettre à Evan Wei de lever le voile sur certains des plus sombres secrets de l’Histoire. Ainsi, la machine sert à prouver les exactions de l’Unité 731, dirigée par le général Shiro Ishii, à l’encontre des Chinois : expérimentations humaines, tortures, massacres divers. L’Unité 731 est responsable de près d’un demi millions de morts mais le gouvernement japonais ne reconnut son existence, du bout des lèvres, qu’en 2002. Avec la machine à voyager dans le temps plus moyen de nier…Du moins en théorie car, en réalité, la disparition des informations oblige à admettre comme unique vérité le témoignage d'une personne, souvent peu neutre car en lien avec les victimes de ces crimes de guerre. De plus, cela anéantit en quelque sorte certain pans de l'histoire qui ne seront plus jamais accessibles aux « observateurs ». Il faudra dès lors admettre un unique rapport comme vérité. En voulant œuvrer pour le plus grand bien, Evan Wei met ainsi un terme à l’Histoire.

Avec ce court roman, Ken Liu frappait un grand coup et récoltait une pluie de prix dont le Hugo et le Nebula. Sous-titré en anglais « a documentary », la novella, en une centaine de pages, adopte les manières d’un documentaire (ou d’un documenteur) et intègre dans sa narration témoignages, extraits de journaux, sites web, compte rendus divers, sondages ou documents gouvernementaux, associé à des avis de quidams convaincus (ou pas) par le procédé. Tout cela compose une vision à la fois froide et horrible des exactions de l’unité 731. Les amateurs de cinéma déviant se souviennent du très éprouvant « Camp 731 » et de ses diverses suites beaucoup plus outrancières mais la plupart des lecteurs ne connaissent probablement pas cette unité japonaise responsable d’incroyables atrocités durant les années ’30 et ’40.

Ken Liu, en présentant un panel de témoignages de descendants des victimes, interroge rapidement sur les notions de neutralité historique. L’invention du voyage temporel, supposé rendre la vérité accessible à tous, rend au contraire les témoignages recueillis sujets à caution et, rapidement, des voix dissidentes ou carrément négationnistes s’élèvent.

Avec ce texte, Ken Liu frappe très fort mais s’abstient de jugement véritable, en véritable ordonnateur de ce documentaire historique il livre des informations et ouvre des pistes de réflexions. Bref, en une centaine de pages le romancier livre un véritable classique instantané et fait mieux que bien des pensums beaucoup plus longs. Un tour de force !

L'HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE de Ken Liu
L'HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE de Ken Liu

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Publié le 29 Mars 2018

UNE FILLE BRANCHEE de James Tiptree Jr
UNE FILLE BRANCHEE de James Tiptree Jr

Ce court roman a été écrit par Alice Shelton sous son pseudonyme de James Tiptree Jr et a obtenu le Prix Hugo dans cette catégorie « novella » en 1974.

L’intrigue, située dans un futur crédible prend place dans une société entièrement contrôlée par les multinationales mais ayant banni l’envahissante publicité d’antan. Cependant les grandes compagnies n’ont pas tardé à réagir en multipliant les « placements de produits » assurés par des célébrités diverses. Après une tentative de suicide, la jeune Philadelphia Burke, 17 ans et souffrant d’une maladie dégénérative sévère, est choisie pour « incarner » une célébrité fabriquée, la superbe Delphi. Cette jeune femme parfaite conçue en laboratoire est une enveloppe « vide » sans esprit ni émotion. Burke va lui donner « vie » en la contrôlant à distance, telle une simple marionnette, pour en faire l’absolu fantasme et objet d’adoration du monde. Stratégiquement placée sur le tournage d’un documentaire, Delphi y fait sensation et, aussitôt repérée, devient une star internationale. Elle tourne rapidement dans des feuilletons télévisés à succès dans lesquels elle impose ses choix (en réalité ceux dictés par les multinationales) et encourage les spectateurs à consommer certains produits bien précis. Mais, sur un tournage, le riche Paul Isham tombe amoureux de Delphi, ignorant qu’elle n’est qu’une enveloppe physique pour la pauvre Phil.  

Récit très cynique (le lecteur est souvent moqué ou qualifié de « zombie ») décrivant une dystopie réaliste, UNE FILLE BRANCHEE constitue une indéniable réussite de la science-fiction spéculative. Le monde de demain, dans lequel des « célébrités » fabriquées de toutes pièces possèdent un pouvoir décisionnel immense et dont le moindre choix vestimentaire (ou autre) se voit imité par des cohortes de spectateurs passifs semble, en 2018, encore bien plus crédible qu’en 1974. Encore plus lorsqu’on apprend qu’un tweet de Kylie Jenner, considérée avec ses 95 millions d’abonnés comme une des personnalités les plus influentes du monde aurait fait chuter l’action Snapchat d’un milliard de dollar. Bref, le règne des personnes « célèbres parce qu’elles sont célèbres ».

UNE FILLE BRANCHEE est donc un grand texte totalement visionnaire et excellement mené, à découvrir, en français, dans LE LIVRE D’OR DE JAMES TIPTREE Jr.

Enfin, signalons que la novella a été adaptée à la télévision dans le cadre de la série « Welcome to Paradox ».

UNE FILLE BRANCHEE de James Tiptree Jr
UNE FILLE BRANCHEE de James Tiptree Jr

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Rédigé par hellrick

Publié dans #science-fiction, #Prix Hugo, #Roman court (novella)

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Publié le 23 Mars 2018

UN PONT SUR LA BRUME de Kij Johnson

De par son format batard (trop long pour une nouvelle, trop court pour un roman sauf si on s’appelle Amélie Nothomb), la novella a connu des publications difficiles. Bien des classiques sont encore inédits ou ne furent publiées que dans des revues spécialisées. Dans le meilleur des cas on a pu les découvrir dans des recueils, accompagnées de trois ou quatre textes courts souvent choisis sans grand soucis de cohérence. Saluons donc les Editions Le Belial’ pour en proposer un joli florilège via leur collection « Une heure lumière » (dont on peut toutefois regretter le prix excessif) sous de jolies couvertures harmonisées. UN PONT SUR LA BRUME y est donc disponible et il eut été dommage de laisser dans l’ombre un texte d’une telle qualité.

Prix Hugo, prix Nebula, prix Asimov, Grand prix de l’imaginaire…une belle collection de récompense pour ces PILIERS DE LA TERRE version science-fantasy. Un empire de tout temps coupé en deux par un fleuve de brume peuplé de mystérieux et redoutables géants. Pour aller d’une rive à l’autre il faut se résoudre à emprunter le bac, ce qui n’est pas sans risque. Kit Meinem d'Atyar, le meilleur architecte du royaume, se voit donc confier la tâche titanesque de bâtir un pont sur la brume et de relier les deux parties de ce monde divisé.

En une centaine de page, l’auteur(e) livre une belle aventure humaine, un récit très plaisant qui laisse la part belle à l’émotion tout au long des nombreuses années nécessaires à l’achèvement de ce monumental chantier architectural. L’écrivain s’intéresse à la personnalité de Kit et à son évolution au fur et à mesure des peines, épreuves et joies qui jalonnent la construction de ce pont gigantesque, lequel aura une influence déterminante sur l’avenir de cette société. En effet, par ce lien entre deux parties du monde jusque-là séparées, la société sera radicalement transformée.

« Un pont remplit une fonction. Il n’a d’importance que par ce qu’il accomplit. Il relit un endroit à un autre. Si tu fais bien ton travail, les gens ne le remarqueront même pas. »

Couronné du Hugo et du Nebula, UN PONT SUR LA BRUME constitue une bien belle lecture qui aurait pu donner lieu à une vaste fresque étant donné la richesse d’un background à peine évoqué (la brume, les géants, ce royaume scindé en deux, ses personnages dont le patronyme s’identifie à la fonction) et les années nécessaires à la construction du pont. Kij Johnson, au contraire, choisit la concision et offre un excellent petit roman où chaque mot est pesé, chaque phrase ciselée. De la bel ouvrage, hautement recommandé à tous les amateurs de fantasy et de science-fiction.

UN PONT SUR LA BRUME de Kij JohnsonUN PONT SUR LA BRUME de Kij Johnson

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Publié le 21 Mars 2018

MAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR de Fritz Leiber

Le Souricier Gris et Fafhrd, le géant barbare, dérobent des gemmes de grande valeur à deux membres de la Guilde des Voleurs, Fissif et Slevyas. Le Souricier et Fafhrd célèbrent ce vol au repaire caché du premier en compagnie de leur compagne respective, Ivrian et Vlana. Poussé par son épouse et à moitié ivré, le Souricier persuade ensuite son ami de s’introduire dans le quartier général des Voleurs. Déguisés en mendiants, les deux aventuriers remplissent leur mission mais attirent le courroux d’un sorcier, Hrsitomilo, au service du grand maître des voleurs, Krovas. Le magicien convoque alors une bête monstrueuse, Sliviken, pour dévorer les épouses de nos aventuriers. Ceux-ci, ivres de rage, décident de se venger et investissent une nouvelle fois le repaire de la Guilde des Voleurs.

Classique de l’Heroic Fantasy, ce court roman fréquemment republié appartient au vaste cycle de Lankhmar, ou cycle des épées, qui conte les aventures du Souricier Gris et de son ami Fafhard. Les deux personnages nous ont été précédemment présentés dans deux nouvelles et MAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR permet de les réunir. Ces aventuriers vivent diverses péripéties, à la fois picaresques et teintées d’humour, en dépit de la noirceur de l’intrigue qui prend tout son sens après la mort de leur compagne.

Le style de Leiber, fluide, professionnel et légèrement ampoulé, convient bien à ce type d’histoires situées dans le monde de Nehwon, autrement dit « no when », un univers dépourvu de situation géographique ou temporelle précise. Les six recueils de nouvelles, accompagnés d’un roman (ensuite republiés dans une massive intégrale chez Bragelonne) offrent donc leur lot d’affrontement et de magie et ont pleinement participé, avec les romans de Moorcock consacrés au Guerrier Eternel, à la relance de la Fantasy dans les années 60, après les réussites des anciens (Howard, Tolkien, Lovecraft, etc.). MAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR eut d’ailleurs une énorme influence sur les jeux de rôles et même, par la suite, sur les jeux vidéo. En effet, la novella magnifie le principe du « dongeon crawling » avec ses deux protagonistes à la fois opposés et complémentaires (un petit voleur magicien et un grand barbare) s’en allant explorer le repaire des méchants jusqu’à affronter le big boss de fin de niveau, ici un sorcier cruel au service de la Guilde des Voleurs.

En bref, si la nouveauté du récit s’est aujourd’hui complètement estompée (des centaines de romans de Fantasy en ont repris les codes narratifs…pour le meilleur et souvent pour le pire), MAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR, récompensé en son temps par les prix Hugo et Nebula, demeure un classique de la « sword and sorcery ». Une lecture encore étonnamment plaisante et divertissante plus de cinquante ans après sa publication initiale. Pas sûr que certains énormes cycles romanesques actuels dans le même style passent aussi bien les épreuves du temps.

MAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR de Fritz Leiber
MAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR de Fritz LeiberMAUVAISE RENCONTRE A LANKHMAR de Fritz Leiber

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Publié le 1 Mars 2018

COOKIE MONSTER de Vernor Vinge
COOKIE MONSTER de Vernor Vinge

Vernor Vinge a déjà reçu deux fois le prix Hugo pour ses monumentaux space opéra UN FEU SUR L’ABIME et AUX TREFONDS DU CIEL. En 2004, il obtient à nouveau la récompense enviée du meilleur roman mais, cette fois, dans la catégorie du « roman court ». COOKIE MONSTER, en une centaine de pages, s’avère donc une belle manière de découvrir cet auteur phare de la science-fiction contemporaine.

Nous suivons la vie, pas toujours folichonne, de Dixie Mae, laquelle vient d’être engagée au service-client de la plus grosse compagnie de nouvelles technologies de la Silicon Valley, Lotsa Tech. Cependant, rapidement, elle reçoit un courriel agressif contenant de nombreux détails intimes qu’elle seule peut, en théorie, connaitre. En compagnie de son collègue Victor, la jeune femme part à la recherche de l’auteur du mystérieux message et découvre une réalité incroyable.

Récit hard science mâtiné de cyber punk (ou vice-versa), COOKIE MONSTER s’avère étonnamment abordable et digeste en dépit des thématiques scientifiques ardues abordées. Revisitant les contes de fées (ALICE AU PAYS DES MERVEILLES et LE MAGICIEN D’OZ en particulier) en les plongeant dans un bain de technologies, d’anticipation et d’intelligence artificielle, Vinge offre un tableau très crédible et prophétique d’un futur déshumanisé qui semble, plus que jamais, terriblement proche.

L’auteur jongle ainsi avec divers concepts et ouvre des perspectives philosophiques certes classiques (un amusant dialogue – à coup de référence à des textes science-fictionnels antérieurs plus ou moins célèbres - démontre d’ailleurs que l’idée n’est pas neuve) mais toujours pertinentes qui visent, au final, à définir l’humain.

La question éternelle du cyberpunk (y a-t-il un ghost in the machine ?) sous-tend ce texte à la fois rythmé, divertissant et profond qui rappelle à la fois l’excellent roman SIMULACRON 3 et la trilogie « The Matrix », pour ne citer que deux références bien connues des amateurs. Mais Vinge aborde aussi les thèses transhumaniques ou se réfère à la théorie de Moore (laquelle postule un doublement de la puissance des ordinateurs tous les 18 mois) qui conduisent certains à penser que, dans moins de 20 ans, l’intelligence artificielle aura définitivement pris le pas sur l’Homme.

En dire davantage ruinerait une partie des surprises proposées par ce récit court mais diablement intelligent et ponctué de diverses révélations jusqu’à une fin à la fois ouverte et vertigineuse. Ajoutons que Vinge donne plus de profondeur à son intrigue et de consistance à ses personnages en 100 pages que certains romanciers en plusieurs centaines. Bref, COOKIE MONSTER est hautement conseillé pour deux heures de grande science-fiction ! Un prix Hugo (pour une fois !) incontestablement mérité.

COOKIE MONSTER de Vernor Vinge

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Publié le 7 Février 2018

L'UNE RÊVE ET L'AUTRE PAS de Nancy Kress
L'UNE RÊVE ET L'AUTRE PAS de Nancy Kress

Dans un futur proche, la recherche en génétique permet l’amélioration des humains et, dès la conception, certains parents choisissent de modifier leurs enfants pour créer des « mutants » supérieurs. Bien sûr, le coût en est si élevé que peu de parents peuvent se le permettre. Le milliardaire Roger Camden y a recourt pour une intervention encore très rare et controversée, la suppression du sommeil. Son épouse accouche donc de Leisha, une Non Dormeuse, mais également d’une jumelle n’ayant pas subi la manipulation génétique, Alice. Disposant de huit heures supplémentaires par jour pour étudier et travailler, Leisha, comme toutes les Non Dormeurs, apprend et progresse plus vite qu’Alice et que tous les enfants Dormeurs. Il apparait également que les Non Dormeurs possèdent une longévité bien plus élevée que celle des humains normaux. Bientôt, l’émerveillement laisse place à la peur et à la haine devant cette minorité à qui tout réussi…

Vainqueur du prix Hugo du meilleur roman court (ou « novella »), ce récit s’intéresse évidemment au lien qui unit les deux sœurs si proches et si différentes, l’une avançant dans l’existence plus rapidement que l’autre. L’écrivain ponctue aussi son texte de considérations sociologiques et philosophiques illustrées, par exemple, par la problématique des « mendiants en Espagne » : si on est prêt à donner un dollar à un mendiant ou même à cinq il devient impossible de donner un dollar à cent mendiants. Et dans ce cas, qu’est ce qui les empêche de prendre de force ce qui leur est « dû ». Mais n’y a-t-il vraiment que des mendiants en Espagne ?

Subtilement, Nancy Kress, déjà remarquée par son excellente « Trilogie des probabilités » suit un chemin déjà emprunté (notamment dans les comics X Men) et décrit les vexations, le rejet puis la violence subis par les Non Dormeurs que les humains ordinaires considèrent comme privilégiés puisqu’ils disposent d’un « tiers temps » de vie supplémentaire.

L’univers très riche développé par Nancy Kress fut ensuite étendu par le roman BEGGARS IN SPAIN (incluant L’UNE REVE ET L’AUTRE PAS ainsi que trois autre novellas) puis par deux autres romans, BEGGARS AND CHOOSERS et BEGGARS RIDE qui forment la « Beggars trilogy » dite « Sleepless », tous inédits en français.

L'UNE RÊVE ET L'AUTRE PAS de Nancy Kress
L'UNE RÊVE ET L'AUTRE PAS de Nancy Kress

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Rédigé par hellrick

Publié dans #science-fiction, #Prix Hugo, #Prix Nebula, #Roman court (Novella)

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Publié le 2 Octobre 2017

LE GEOMETRE AVEUGLE de Kim Stanley Robinson

Kim Stanley Robinson fait partie des valeurs sures de la science-fiction actuelle. On lui droit quelques « briques » comme son imposante CHRONIQUE DES ANNEES NOIRES (une superbe uchronie) ou sa fameuse trilogie dédiée à la planète MARS qui récolta de nombreux prix prestigieux (Hugo, Nebula, Locus et British Science-fiction).

Ce recueil se compose d’une novella (« Le géomètre aveugle ») et de sept nouvelles plus courtes pour un total de 320 pages.

« Le Géomètre aveugle » s’intéresse à Carlos, un aveugle passionné de mathématique qui a transformé son handicap en avantage dans le domaine de la géométrie à n dimensions. Il prend contact avec Marie, une jeune femme aux propos peu cohérents, et soupçonne les services secrets de surveiller leurs échanges verbaux. Il entame une relation amoureuse avec Marie mais comprend également qu’il est manipulé par le gouvernement…La nouvelle se base explicitement sur un théorème élaboré au XVIème siècle par le mathématicien français Girard Desargues et considéré comme la base de la géométrie projective. Si tout cela parait complexe ou même obscur (références mathématiques, « name dropping » de compositeurs de musique expérimentale, etc.), l’intrigue se suit aisément. Kim Stanley Robinson privilégie l’histoire d’amour, agrémentée d’une trame d’espionnage pas franchement originale mais efficace, pour accoucher d’une novella réussie justement récompensée par le Prix Nebula et nominée pour le Hugo et le Locus.

Les autres nouvelles abordent des thèmes divers. Sans les citer toutes, mentionnons l’intéressant « Les lunatiques », une histoire assez longue (plus de quarante pages) consacrée au calvaire des mineurs extrayant, de la lune, un métal indispensable aux Terriens. La science-fiction s’y trouve réduite au minimum (le contexte) pour privilégier un récit dystopique particulièrement sombre (au propre comme au figuré) sur l’esclavage moderne.

Autre nouvelle relativement longue, « Au retour de Rainbow Bridge » développe, sur cinquante pages, une jolie intrigue saupoudrée d’une pincée de fantastique. L’irrationnel se montre, en effet, discret dans cette balade accomplie autour du Rainbow Bridge, un pont rocheux naturel situé en Utah et considéré par les Amérindiens comme un lieu sacré. Le narrateur y entre en contact avec le mysticisme et à la vie sauve grâce à l’intervention providentielle d’un sorcier indien. Une lecture agréable.

Après le tableau dépressif et à peine prospectif que constitue le peu convaincant « Crève la faim en l’an 2 000 », nous arrivons à une plaisante uchronie, « Leçon d’histoire » au sujet de cinéastes occupés, sur la lune, à proposer de nouvelles versions d’anciens classiques du cinéma et de la télévision. La question centrale, proposée au lecteur, consiste à savoir si deux ou trois grands Hommes « font l’Histoire » où si celle-ci est plus globale, autrement dit moins dépendante des actes de l’un ou l’autre individu servant de modèle héroïque au plus grand nombre. Une interrogation traditionnelle qui divise philosophes et historiens depuis des siècles. Peu à peu nous apprenons les divergences entre ce monde et le nôtre : la crise des otages à Téhéran s’est réglée différemment, Carter a été réélu, une femme a sauvé John Lennon des balles de son assassin, etc. Les cinéastes s’interrogent également pour savoir si la « vérité doit absolument correspondre à la réalité » (des événements). Une belle réussite de la science-fiction spéculative bien sûr davantage soucieuse de questionnement que d’action pétaradante.

Le dernier récit, « la meilleure part de nous-même » mélange science, rationalisme et religion. L’auteur propose une relecture des textes évangéliques sans que l’on puisse toujours comprendre où il veut en venir ou quelle est sa position sur les sujets abordés, notamment l’inévitable opposition entre la foi (les miracles) et le rationnel (Jésus était-il un extraterrestre détenteur d’une technologie évoluée ?). Des questions encore une fois intéressantes mais un récit, cette fois, seulement à demi convaincant.

Au final, ce recueil laisse une impression mitigée (qui penche cependant vers le positif) mais demeure une bonne manière d’aborder la production, personnelle et originale, d’un auteur majeur de la science-fiction actuelle.

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Publié le 6 Juillet 2017

L'ETRANGE VIE DE NOBODY OWENS de Neil Gaiman

En 1985, Neil Gaiman a l’idée d’une sorte de démarquage macabre du LIVRE DE LA JUNGLE (« The Jungle book » devient dès lors logiquement « The Graveyard Book ») situé dans un cimetière où grandit un jeune garçon. Divisé en huit chapitres qui fonctionnent tels des nouvelles situées dans le même univers (la quatrième histoire fut d’ailleurs précédemment publiée dans une anthologie et récolta le Prix Locus de la meilleure nouvelle), celui de ce plaisant cimetière, le livre suit la vie de cet étrange Nobody Owens et ces démêlées avec le mystérieux Jack.

Un enfant de dix-huit mois échappe par miracle à la mort lorsque le Jack, un assassin membre d’une confrérie secrète, tue tout le reste de sa famille. Le garçonnet trouve refuge dans un cimetière où il est adopté par un couple de fantôme, Monsieur et Madame Owens, et confié  à la garde de son tuteur, le vampire Silas. Rebaptisé Nobody, l’enfant grandit en compagnie des spectres  et des lycanthropes, apprend à côtoyer les vivants et, parfois,  à les effrayer. Il se lie aussi d’amitié avec Scarlett qui aime bien discuter avec lui même si elle le considère comme son ami imaginaire. Mais le Jack, lui, cherche toujours à le tuer…

Après CORALINE, voici une nouvelle réussite éclatante de Neil Gaiman, aussi à l’aise dans le roman adulte (AMERICAN GODS), le comic book (SANDMAN, 1612), la nouvelle (comme en témoigne ses divers recueils) que dans la littérature « jeunesse ». Ici, comme souvent avec cet auteur,  nous sommes dans un univers gothique et macabre non dénué d’humour, proche du cinéma de Tim Burton (celui des « Noces Funèbres ») qui reprend également les codes du roman d’apprentissage. On peut aussi évoquer une version à la fois plus sombre et décalé d’un Harry Potter affrontant un nouvel adversaire qui ne peut être nommé,  un tueur sanguinaire rappelant Jack l’Eventreur et simplement baptisé le Jack. Chacun des chapitres propose une avancée de deux ans et marque ainsi une étape dans la vie de Nobody, dit Bod.

Neil Gaiman, en 300 pages qui se lisent très rapidement et rehaussées de belles illustrations en  noir et blanc évocateur, laisse libre cours à ses talents de conteur pour convier tout un bestiaire de morts, de vivants et de morts-vivants. Son joyeux cimetière est peuplé de sorcière défunte mélancolique (car nulle pierre ne marque l’emplacement de sa tombe), de goules affamées, des fantômes bavards, de tuteur vampire et de louve-garou autoritaire. Un mélange de fantasy, d’épouvante et d’humour destiné aussi bien aux adolescents qu’aux adultes et justement couronné par le Prix Hugo du meilleur roman et le Prix Locus du meilleur roman « jeunesse ».

L'ETRANGE VIE DE NOBODY OWENS de Neil Gaiman

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Fantastique, #Horreur, #Jeunesse, #Prix Hugo, #Fantasy, #Neil Gaiman

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Publié le 23 Juin 2017

RENDEZ-VOUS AVEC RAMA d'Arthur C. Clarke

Publié en 1973, ce roman demeure l’un des plus célèbres de Clarke, couronné par une foultitude de prix : Hugo, Nebula, John Campbell Award, Locus, etc. Un véritable classique qui se relit avec plaisir plus de quatre décennies après sa sortie.

Après la destruction quasi-totale de l’Italie par un astéroïde en 2077, un centre de crise destiné à prévenir de telles catastrophes est établi. Cinquante années plus tard, alors que l’espèce humaine a colonisé la Lune, Mars, Mercure et divers satellites des principales planètes, un gigantesque artefact extra-terrestre est repéré en approche du système solaire. Baptisé Rama, ce vaisseau de 50 km de long et 20 de diamètre, devient le centre de toutes les attentions. L’équipage de l’Endeavour, un vaisseau spatial terrien, se voit chargé de l’explorer. Pendant ce temps, sur Terre, les ambassadeurs des différentes colonies réagissent différemment à cette situation inédite.

La principale innovation de Clarke est de proposer une approche réaliste (si tant est qu’on puisse employer ce terme dans le cadre d’une œuvre de science-fiction) du fameux « premier contact » avec une intelligence extra-terrestre. Dans la SF primitive de l’Age d’Or (et même ensuite), les aliens se montraient généralement sous une apparence humanoïde et ne différaient de l’Homme que par la taille ou la couleur de peau. D’où les « petits hommes verts » qui firent le beau jour des pulps et des séries B. Ces extra-terrestres avaient, en outre, le bon goût de parler anglais ou, lorsqu’ils baragouinaient un improbable idiome, un petit coup de traducteur universel permettait de les comprendre sans la moindre difficulté. Clarke, pour sa part, imagine une vie extra-terrestre si radicalement étrangère qu’il est pratiquement impossible de la concevoir avec un mode de pensée humain.

Certes, le thème n’est pas complètement neuf puisqu’il avait été abordé par Fritz Leiber dans son VAGABOND (Prix Hugo 1965). Par la suite d’autres romanciers se pencheront sur le sujet : John Varley avec sa trilogie de GAIA, Robert Reed avec LE GRAND VAISSEAU, Greg Bear avec la saga EON, Larry Niven avec L’ANNEAU MONDE. Mais Clarke a peut-être livré le livre définitif sur le thème. Il condense son récit en 250 pages là où bien des écrivains actuels auraient dilaté l’intrigue sur plusieurs tomes (notons cependant que Clarke, en collaboration avec Gentry Lee, poursuivra le cycle avec trois séquelles avant que Lee seul ne poursuive l’aventure pour deux autres romans) et confère un bon rythme à cette histoire. Pas de temps à perdre, nous sommes directement plongés dans l’intrigue et, après quelques courts chapitres, l’exploration de Rama débute. Car ce vaisseau inconnu ne tardera pas à repartir dans les profondeurs spatiales et les humains ont peu de temps devant eux pour en percer les mystères.

Vu l’abondance de chroniques positives et le nombre de prix reçu par RENDEZ VOUS AVEC RAMA permettons nous quelques critiques minimes : le roman est essentiellement descriptif et manque un peu d’action (quoique le dernier acte se montre davantage alerte en usant d’un procédé classique à savoir la possible destruction de Rama par un tir de missile). Comme la plupart des œuvres de Clarke, il s’agit surtout de hard science et les personnages restent peu développés en dépit de quelques traits intéressants tel le double mariage du principal protagoniste. Toutefois, le bouquin gagne des points en jouant la carte du bon vieux « sense of wonder » via l’exploration de ce vaisseau où tout, de l’architecture à la physique en passant par les formes de vie, s’avère complètement différent et étranger aux perceptions humaines. Clarke se gardera bien d’ailleurs d’explications qui n’auraient pu que décevoir : au final le lecteur n’en saura guère plus sur Rama ou ses concepteurs. La morale, simple, est tout simplement que ces-derniers se fichent de ces humains présomptueux s’étant imaginé être le centre d’attention des habitants de l’univers. Et la fin ouverte, dans sa simplicité (la dernière phrase), démontre l’efficacité du romancier. Un incontournable de la science-fiction.

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Publié le 16 Juin 2017

DOUBLE ETOILE de Robert Heinlein

Figure tutélaire de la science-fiction américaine, Robert Heinlein obtient avec DOUBLE ETOILE le premier de ses quatre Prix Hugo du meilleur roman (auxquels s’ajoutent trois retro-Hugo posthume).

L’intrigue, ramassée sur 220 pages, nous est contée à la première personne par un comédien célèbre, Lawrence Smythe, dit le Grand Lorenzo. Celui-ci, désoeuvré, se voit proposer par un certain Dak de réaliser la parfaite imitation d’un homme politique très connu, John Joseph Bonforte, leader du parti expansionniste d’opposition. Or, Bonforte a été kidnappé et sa présence est requise lors d’une cérémonie martienne : son absence serait une grave entorse au protocole et remettrait en question la paix entre Mars et la Terre. Après la libération de Bonforte, très affaibli par les traitements subis, Lorenzo se voit contraint de continuer à endosser son rôle durant la campagne électorale…

Ce court roman méritait-il le prix Hugo ? La question reste posée. C’est un bon livre bien sûr, mais qui ne possède pas l’ambition d’EN TERRE ETRANGERE par exemple, sans doute le chef d’œuvre d’Heinlein, lequel lui permis d’obtenir un nouveau Hugo, une large reconnaissance (notamment parmi les hippies) et de se défaire quelque peu de son étiquette réactionnaire.

Toutefois, DOUBLE ETOILE demeure intéressant par sa critique assez savoureuse de la politique, affirmant clairement que les chefs de parti sont des marionnettes qui peuvent aisément être remplacés, que seule l’image (et le charisme) est importante, bref que tout cela n’est qu’une vaste comédie.

L’important ne réside pas dans un programme solide mais bien dans des petits faits que le politicien peut exploiter pour jouer sur la proximité : Bonforte note dans ses carnets des détails insignifiants sur les électeurs qu’il rencontre afin de les amadouer plus facilement par la suite.

Les conseillers œuvrent réellement, dans l’ombre, pour diriger le pays et le chef effectue une simple représentation. Un acteur de talent peu par conséquent le remplacer sans grande difficulté, se contentant de ressasser d’anciens discours. Et lorsqu’un journaliste signale que les paroles ne sont pas neuves, le politicien rétorque brillamment qu’elles restent vraies.

La morale, elle, est assez convenue, tout comme la conclusion du roman (située un quart de siècle après l’intrigue principale) : Lorenzo assume totalement le rôle du politicien dont il copie les attitudes, discours et opinions au point que sa personnalité propre s’est totalement dissolue dans celle de son « personnage ».

Sans beaucoup de rebondissements mais avec des protagonistes fouillés et une thématique générale pertinente et toujours très actuelle (quoique certains passages – en particuliers tout ceux consacrés à Mars – aient pris un coup de vieux), DOUBLE ETOILE frappe aussi par sa concision appréciable en ces temps de pavé parfois interminable.

Fort plaisant.

Prix Hugo 1956

 

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Rédigé par hellrick

Publié dans #science-fiction, #Robert Heinlein, #Prix Hugo

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