golden age

Publié le 22 Mai 2017

LORD PETER ET LE BELLONA CLUB de Dorothy L. Sayers

Lord Peter Wimsey, aristocrate oisif et détective à ses heures perdues, fut créé par Dorothy Sayers en 1923 dans LORD PETER ET L’INCONNU. Très vite, le personnage rencontre le succès et Sayers en fait son héros récurrent puisqu’il intervient dans douze romans et de nombreuses nouvelles.

Cette quatrième aventure démontre l’originalité de Sayers et part d’une situation problématique inédite : Lady Dormer, sentant venir la mort, souhaite se réconcilier avec son frère, le général Fentiman. Elle le rencontre et lui explique que, selon son testament, si elle décède avant lui, sa fortune sera répartie entre Robert et George Fentiman, ses petits-fils. Dans le cas contraire, à savoir si le général devait mourir avant elle, son héritage reviendrait par contre à sa dame de compagnie, Ann Doland. Or, la brave Lady décède le lendemain à 10h37 tandis que le vieux militaire est, de son côté, découvert mort dans un fauteuil de son club, le Bellona. Cependant déterminer l’heure exacte de ce décès s’avère délicat, ce qui complique la question de l’héritage : doit-il revenir aux frères Fentiman ou à Ann Doland ?  A Lord Peter Wimsey de tenter d’établir qui a précédé qui dans la mort avec l’aide du médecin, Penberthy. Or, ce-dernier se montre prudent : si, pour lui, le décès du gradé est d’origine naturelle, le feu de cheminée empêche d’estimer avec précision l’heure de survenue de la rigidité cadavérique. La situation va par la suite s’envenimer entre les Fentiman et Doland, d’autant qu’une autopsie prouve qu’en réalité le général a été empoisonné à la digitaline. De plus le docteur Penberthy entretenait une relation amoureuse avec Ann Doland.

Entre roman d’énigme et tableau d’une époque révolue (celle de l’entre-deux Guerres), LORD PETER ET LE BELLONA CLUB brosse avec humour et une certaine nostalgie l’évolution de la société et les changements induits par la Première Guerre Mondiale dont le traumatisme pèse sur les personnages. Dès lors, il n’est donc guère étonnant de débuter l’intrigue le jour de l’armistice, le 11 novembre, ni de prendre pour victime un général nonagénaire, dernier témoin des temps anciens. Le contexte sociétal apparait donc de manière évidente mais reste toujours en filigrane et l’énigme policière demeure le véritable moteur de ce court récit (environ 180 pages), ponctué de remarques sur l’évolution des mœurs, les clubs de gentilhomme et les changements à l’œuvre dans le monde, en particulier en ce qui concerne les rapports entre les hommes et les femmes.

L’identité de l’assassin se montre par contre plus évidente tant le faisceau d’indices et le nombre restreint de suspects indique assez rapidement au lecteur qui est le coupable le plus probable. Mais cela ne gâche en rien le plaisir pris à lire ce classique du whodunit écrit d’une plume alerte fort appréciable tant les rebondissements nombreux et les dialogues efficaces rendent l’ensemble aussi rythmé que divertissant. Recommandé !

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Policier, #Whodunit, #Golden Age, #Dorothy L. Sayers

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Publié le 16 Mai 2017

EN SCENE POUR LA MORT de Helene McCloy

Helen McCloy (1904 – 1994) publie son premier roman en 1938, DANCE OF DEATH dans lequel apparait déjà le psychiatre Basil Willing qui deviendra son enquêteur récurent, héros d’une quinzaine de whodunit. On citera en particulier LE MIROIR OBSCUR, classique du crime impossible fréquemment cité parmi les meilleurs romans de ce style. Par la suite, McCloy délaissera quelque peu l’énigme pure pour se rapprocher du thriller psychologique.

EN SCENE POUR LA MORT se déroule dans un théâtre. Une troupe y répète le mélodrame « Fedora » dans lequel un personnage secondaire, Vladimir, meurt sur scène. Si, durant les répétitions, un mannequin est utilisé, un véritable comédien est engagé pour la première de la pièce. Au cours de celle-ci, Vladimir, qui git inconscient et dans le coma, est approché par trois autres acteurs : Leonard, Rod et la vedette, Wanda. A la fin de la représentation, Vladimir ne se révèle pas : il a été assassiné devant des dizaines de témoins. Leonard, Rod et Wanda ont tous eu l’opportunité de commettre le crime et la police ne possède aucun mobile et pas la moindre preuve permettant d’incriminer un des trois suspects. Le psychiatre Basil Willing intervient pour résoudre le mystère.

Sur cette base classique mais d’une redoutable efficacité, McCloy brode une énigme prenante dans laquelle on retrouve quelques mystères secondaires intéressants. Le roman débute par exemple par un étrange cambriolage chez un rémouleur : nul objet ne semble avoir été dérobé mais, par contre, le canari en cage a été libéré. La science déductive et les connaissances psychologiques de Willing permettront de résoudre ce problème et pour déterminer toute l’importance d’un traité médical et d’un synopsis abandonné (sur lequel une réplique est soulignée). Une mouche fournira même la preuve de culpabilité espérée. Willing usera également, à différentes reprises, d’une perspicacité proche de Sherlock Holmes pour énoncer quelques vérités évidentes…du moins après que le psychiatre ait expliqué le cheminement de sa pensée.

Comme dans de nombreux romans de ce style, l’énigme s’avère ingénieuse mais la solution proposée, qui pointe logiquement vers le coupable n’était sans doute pas la seule possible. Les whodunit sont souvent construits comme des puzzles où plusieurs résolutions fonctionnent (comme en témoigne l’incroyable CLUB DES DETECTIVES d’Anthony Berkeley, véritable tour de force qui propose pas moins de huit solutions plausibles à l’énigme). Il s’agit toutefois d’un défaut mineur (en est-ce véritablement un d’ailleurs ?) au sein d’un roman très plaisant, vivant et enlevé. Les dialogues sont réussis, le rythme alerte et les anecdotes sur le monde théâtrales instructives (un débutant déclame la dernière réplique de la pièce lors d’une répétition, ce qui provoque la colère des comédiens pour lesquels cela « porte malheur ») avec les rivalités entre acteurs, les uns cabotins, les autres en déclin, les autres espérant atteindre la gloire, sans oublier les seconds couteaux qui courent le cachet ou les types qui vivotent dans le milieu du spectacle en espérant qu’un jour un metteur en scène daigne s’intéresser à leurs écrits.

Une excellente surprise, immanquable pour les amateurs de whodunit rétro !

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Policier, #Whodunit, #Golden Age

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Publié le 10 Mai 2017

LE MIROIR SE BRISA d'Agatha Christie

Quoiqu’il soit rarement cité parmi les incontournables de Christie, LE MIROIR SE BRISA démontre pourtant toute la science narrative de la romancière.

L’intrigue tourne autour de la célèbre actrice Marina Gregg venue tourner un nouveau film dans le petit village tranquille de St Mary Mead en compagnie de son époux, le réalisateur Jason Rudd. Lors d’une réception donnée dans leur nouvelle maison, Heather Baddock, jeune femme sans histoire, renverse son cocktail. Marina lui tend innocemment le sien mais, dès que Heather l’a bu, elle s’écroule, victime d’une overdose de tranquillisant. L’inspecteur Dermot Craddock de Scotland Yard arrive à St Mary Mead pour enquêter, aidé par Jane Marple. Très vite, tous deux acquièrent la conviction que la victime désignée était en réalité Marina, d’ailleurs cible de lettres anonymes très menaçantes.

Inspirée par la vie de l’actrice Gene Tierney, ce « country mystery » fonctionne comme une sorte de séquelle à UN CADAVRE DANS LA BIBLIOTHEQUE (datant de 1942) auquel il est fréquemment fait référence. Publié vingt ans plus tard (en 1962), LE MIROIR SE BRISA se montre nostalgique et analyse les changements connus dans un petit village anglais typique où, à présent, les gens ont arrêté de cultiver leur potager et préfèrent acheter leurs légumes au supermarché. Le village s’est étendu, un nouveau quartier résidentiel a été construit (le Quartier Neuf) pour la génération de l’après-Guerre et, horreur ! malheur !, certains hommes portent les cheveux longs.

Pour sa huitième enquête, Miss Marple apparait très âgée (on la décrit, de manière exagérée, comme « presque centenaire ») aussi effectue t’elle l’essentiel de l’enquête par les yeux d’autres personnages qui lui servent de témoins. Peu à peu, elle résout le mystère. La maitrise de Christie apparait d’ailleurs dans ces dernières pages : alors que certains de ses collègues s’étendent sur des dizaines de pages pour expliquer le « comment » et le « pourquoi », la romancière n’a besoin que d’une vingtaine de lignes pour démêler l’intrigue : un changement de perspective, un renversement de point de vue et, en prenant les faits par « le bon bout de la raison », tout semble limpide.

Une belle réussite qui résiste très bien à la relecture.

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Policier, #Whodunit, #Golden Age, #Agatha Christie, #Miss Marple

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Publié le 25 Avril 2017

VOUS PERDEZ LA TETE de Christianna Brand

Christianna Brand (1907 – 1988) débute sa carrière au début des années ’40 avec LA MORT EN TALONS HAUTS. Peu après, elle publie son deuxième roman dans lequel elle crée son enquêteur récurent, l’inspecteur de police Cockrill. Après cette première apparition dans ce classique whodunit (assorti d’un apparent crime impossible) datant de 1941 l’inspecteur reviendra dans six autres romans (dont cinq furent traduits en français) et plusieurs nouvelles. Par la suite, Christianna Brand se spécialisa dans la littérature jeunesse, concevant notamment le personnage de Nanny McPhee (campée par Emma Thompson dans les deux adaptations cinématographiques tournées en 2005 et 2010).

VOUS PERDEZ LA TETE se déroule durant la Seconde Guerre Mondiale alors que les Londoniens se sont réfugiés à la campagne pour échapper aux bombardements. A Pigeonsford Manor, par exemple, quelques personnes sont réunies, dont Grace Morland, une vieille fille tombée amoureuse du forcément séduisant quinquagénaire Stephen Pendock, dit Pen, lequel semble davantage attiré par la jeune nymphette Francesca, une fille « exquise et si jolie qu’on en était mal à l’aise ». Cette dernière exhibe son nouveau cadeau, un chapeau, qui attise la jalousie de Grace, laquelle déclare avec dédain, en référence à un précédent meurtre ayant ensanglanté la région, qu’elle n’aimerait pas mourir avec un tel couvre-chef sur la tête. Or, peu après, Grace est découverte décapitée…avec le chapeau en question sur sa tête tranchée. L’inspecteur Cockrill vient investiguer le crime et établit rapidement que le meurtrier appartient à la maison et n’a pu provenir de l’extérieur, ce qui limite à six le nombre de suspects. Par la suite, un nouveau meurtre survient : là encore la victime est retrouvée décapitée mais, cette fois, le crime semble impossible puisque aucune empreinte n’apparait sur la neige entourant le corps. 

Avec ce whodunit typique, Christianna Brand se lance dans le « country house mystery » si cher aux auteurs de l’Age d’Or du roman policier et il ne lui faudra que 185 pages pour résoudre l’énigme pourtant complexe proposée. En effet, en comptant un précédent meurtre commis un an avant les évènements relatés, la romancière donne à son inspecteur la lourde tâche de résoudre trois crimes. Mais Cokrill se montrera à la hauteur et l’assassin sera, logiquement et classiquement, dévoilé lors du dernier chapitre.

Si le roman ne se montre pas très original, le style est très agréable et l’écriture fluide, plaisante, sans les scories de certains auteurs du Golden Age. Brand propose des descriptions vivantes, des dialogues ciselés et confère un bon rythme à son récit empreint d’un certain humour noir et d’un côté macabre, voire grand-guignolesque, appréciable.

Le principal bémol réside dans la conclusion : contrairement à la tradition du whodunit, le plus suspect s’avère être le coupable. Si on peut saluer le réalisme d’une telle fin (à l’opposé des retournements de situations peu crédibles de nombreux romans d’énigme), le lecteur peut se sentir quelque peu floué. Plus embêtant, le mobile de l’assassin se base sur des données médicales erronées et pas vraiment convaincantes. Le processus, qui a été ultérieurement repris plusieurs fois dans la littérature policière, devait cependant être original au début des années ’40. Enfin, l’énigme de l’absence d’empreintes sur la neige se voit évacuée avec une désinvolture déstabilisante (après que plusieurs hypothèses plausibles aient été avancées) et n’a finalement aucune importance. Frustrant.

Malgré ces défauts, VOUS PERDEZ LA TÊTE constitue un bon début pour l’inspecteur Cockrill, personnage intéressant même si pas encore pleinement développé. Le roman se lit en tout cas avec plaisir et reste suffisamment moderne dans son écriture pour ne pas rebuter le lecteur. Le tout donne envie de poursuivre les aventures de Cockrill qui allait résoudre pas moins de trois « crimes impossibles » (dans LA MORT DE JEZABEL, SUBITEMENT DECEDEE et TOUR DE FORCE). Conseillé.

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Rédigé par hellrick

Publié dans #Golden Age, #Policier, #Christianna Brand, #Whodunit, #Impossible Crime

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Publié le 20 Avril 2017

CRIME A BLACK DUDLEY  de Margery Allingham

 

Né en 1904, Margery Allingham débute sa carrière littéraire à 19 ans mais accède au succès avec ce CRIME A BLACK DUDLEY publié en 1929, première apparition de son détective favori, Albert Campion, que l’on retrouva dans dix-huit autres romans. Ici, il n’a qu’un rôle secondaire, un peu perdu au milieu des invités rassemblés à Black Dudley pour participer à un rituel familial consistant à se passer une dague dans l’obscurité. Durant ce jeu, le colonel Coombe meurt d’une crise cardiaque apparente. En réalité, il a été poignardé par une bande d’escrocs décidés à garder les invités prisonniers à Black Dudley.

Débutant comme un classique whodunit typique du Golden Age (protagonistes rassemblés dans un lieu clos, malédiction familiale, jeu tournant au drame, etc.), le roman se transforme ensuite en récit de gangsters avec papiers de grande valeur perdu (ou détruits), enlèvements, séquestrations, évasions, etc. On pense à certains John Dickson Carr des débuts ou, plus gênants, à Edgar Wallace tant le tout parait daté dans une veine feuilletonesque, proche du serial, qui multiplie les surprises mais demeure plus fatiguant que divertissant.

Destiné à devenir le héros récurent d’Allingham, Albert Campion n’a ici qu’un rôle secondaire, tandis que le pathologiste travaillant pour Scotland Yard, George Abbershaw, tient le haut de l’affiche. Le roman part donc dans plusieurs directions sans parvenir à passionner, quoique l’écriture alerte, les rebondissements nombreux et quelques touches d’humour parviennent à éviter au lecteur un complet désintérêt.

On trouve heureusement une plaisante ambiance de « country house mystery » avec des invités au passé mystérieux, des passages secrets et même un rituel familial folklorique (cependant moins obscur que celui des Musgraves). Toutefois, CRIME A BLACK DUDLEY se révèle décevant et l’identité de l’assassin (la dernière partie du roman revient à un whodunit plus traditionnel) quelque peu prévisible quoique son mobile soit, lui, plus original.

En dépit de ce quasi faux-départ, Albert Campion s’imposa comme un des grands détectives de l’Age d’Or et Allingham prit sa place aux côtés des trois autres reines du crime : Christie, Marsh et Sayers.

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Rédigé par Hellrick

Publié dans #Whodunit, #Golden Age, #Policier, #Margery Allingham

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