L'HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE de Ken Liu
Publié le 19 Septembre 2018
Dans un proche avenir deux scientifiques, le Chinois Evan Wei et son épouse d’origine japonaise Akemi Kirino, parviennent à mettre au point une machine à voyager dans le temps. Mais ces déplacements temporels sont soumis à diverses restrictions : on ne peut retourner qu’une seule fois à une époque donnée et il est impossible de modifier les événements. Cette invention va notamment permettre à Evan Wei de lever le voile sur certains des plus sombres secrets de l’Histoire. Ainsi, la machine sert à prouver les exactions de l’Unité 731, dirigée par le général Shiro Ishii, à l’encontre des Chinois : expérimentations humaines, tortures, massacres divers. L’Unité 731 est responsable de près d’un demi millions de morts mais le gouvernement japonais ne reconnut son existence, du bout des lèvres, qu’en 2002. Avec la machine à voyager dans le temps plus moyen de nier…Du moins en théorie car, en réalité, la disparition des informations oblige à admettre comme unique vérité le témoignage d'une personne, souvent peu neutre car en lien avec les victimes de ces crimes de guerre. De plus, cela anéantit en quelque sorte certain pans de l'histoire qui ne seront plus jamais accessibles aux « observateurs ». Il faudra dès lors admettre un unique rapport comme vérité. En voulant œuvrer pour le plus grand bien, Evan Wei met ainsi un terme à l’Histoire.
Avec ce court roman, Ken Liu frappait un grand coup et récoltait une pluie de prix dont le Hugo et le Nebula. Sous-titré en anglais « a documentary », la novella, en une centaine de pages, adopte les manières d’un documentaire (ou d’un documenteur) et intègre dans sa narration témoignages, extraits de journaux, sites web, compte rendus divers, sondages ou documents gouvernementaux, associé à des avis de quidams convaincus (ou pas) par le procédé. Tout cela compose une vision à la fois froide et horrible des exactions de l’unité 731. Les amateurs de cinéma déviant se souviennent du très éprouvant « Camp 731 » et de ses diverses suites beaucoup plus outrancières mais la plupart des lecteurs ne connaissent probablement pas cette unité japonaise responsable d’incroyables atrocités durant les années ’30 et ’40.
Ken Liu, en présentant un panel de témoignages de descendants des victimes, interroge rapidement sur les notions de neutralité historique. L’invention du voyage temporel, supposé rendre la vérité accessible à tous, rend au contraire les témoignages recueillis sujets à caution et, rapidement, des voix dissidentes ou carrément négationnistes s’élèvent.
Avec ce texte, Ken Liu frappe très fort mais s’abstient de jugement véritable, en véritable ordonnateur de ce documentaire historique il livre des informations et ouvre des pistes de réflexions. Bref, en une centaine de pages le romancier livre un véritable classique instantané et fait mieux que bien des pensums beaucoup plus longs. Un tour de force !