SAS A ISTANBUL de Gérard De Villiers
Publié le 8 Janvier 2018
En ces temps frileux où la moindre parole sexiste prend des proportions effarantes il est rafraichissant de se plonger dans le machisme satisfait de la plus célèbre des sagas d’espionnage. Car si SAS c’est tout d’abord un personnage, le prince hongrois Malko Linge, autrement dit Son Altesse Sérénissime, SAS c’est également – et surtout - une institution du roman de gare francophone et de l’espionnage. Créé en 1965 par Gérard de Villiers qui écrivit deux cents aventures de son héros jusqu’en 2013, soit près de cinquante ans de bons et loyaux services à la cause d’une espionnite réactionnaire et globalement divertissante.
Que l’on aime (ou pas) le héros ou son controversé auteur, SAS A ISTANBUL reste une œuvre historique puisqu’il s’agit de la première aventure de Malko, lequel se voit défini comme un aristocrate désargenté acceptant de dangereuses missions afin d’amasser suffisamment de ressources monétaires pour restaurer son château décrépi. L’aristocrate aventurier possède un charme indéniable dont il use abondamment, à la manière de James Bond (si Malko fait plusieurs conquête la série n’a pas encore sombré dans le porno envahissant des titres ultérieurs et demeure sobre au rayon de l’érotisme) et une mémoire fabuleuse qui lui permet de retrouver facilement une information lue bien des années auparavant. Cette aptitude originale, elle aussi, sera rarement mentionnée par la suite. Dans cette première aventure, Malko n’est d’ailleurs pas vraiment un homme d’action, plutôt un stratège qui enquête, rassemble des faits, et laisse ses hommes de main accomplir le sale boulot. La série, là aussi, évoluera pour se conformer davantage aux normes du roman d’action / espionnage durant les décennies ultérieures où le prince fera le coup de poing à intervalles réguliers.
Avec SAS A ISTANBUL nous sommes encore en pleine guerre froide : après la destruction d’un sous-marin américain dans le détroit du Bosphore, un submersible non identifié est coulé en représailles. Peu après, le corps d’un marin russe est découvert sur la plage d’Izmir. Les services secrets de divers pays vont alors tenter de récupérer des documents compromettants. Une poignée de personnages jouent double jeu tandis que d’autres sont simplement éliminés au fil des pages, abattus par des agents rivaux. SAS Malko Linge débarque en Turquie pour enquêter sur cette affaire qui pourrait compromettre la paix mondiale.
Avec ses clichés mais aussi son rythme enlevé et son intrigue relativement complexe, SAS A ISTANBUL (un titre qui évoque immédiatement les longs-métrages d’espionnite de la fin des sixties) constitue un bon moyen de passer trois ou quatre heures de son temps. Le héros s’y révèle plutôt sympathique et attachant, loin de l’image du surhomme « sex machine » qu’il deviendra quelques années plus tard. De Villiers, pour sa part, évite les conventions et n’a pas encore sombré dans sa propre caricature à la manière des romans ultérieurs, plaisants mais bien trop mécaniques pour passionner : un quart d’ultra violence, un quart de sexe, un quart de péripéties façon guide du routard et un quart de considérations géopolitiques que ses détracteurs trouveront toujours « nauséabondes ».
Dans les limites de la littérature de gare, SAS A ISTANBUL fonctionne agréablement et s’appuie sur une écriture simple mais fluide et efficace, soucieuse de ne pas générer de temps morts mais, au contraire, de proposer des rebondissements et quelques touches humoristiques au sein d’un récit bien balancé. De quoi donner envie de poursuivre la lecture des titres ultérieurs, du moins ceux parus jusqu’à la fin des sixties, avant le grand basculement dans le sexe balisé et la violence outrancière.