Ce recueil paru au Belial en 2010 (puis réédité au Livre de Poche deux ans plus tard) rassemble neufs récits non inédits (mais souvent remaniés et retraduits) qui composent un véritable « best of » science-fictionnel de Poul Anderson, notamment inventeur de la célèbre Patrouille du temps. Des récits souvent primés, voire multiprimés et qui sont, pour la plupart, relativement longs pour des nouvelles jusqu’à atteindre ce que les Américains désignent comme des romans courts ou des novellas. Anderson fut d’ailleurs récompensé à sept reprises par un Hugo (six des titres récompensés sont inclus dans ce recueil) et trois fois par le Nebula, sans oublier un Locus. Lauréat de ce triplé parfait « La reine de l’air et des ténèbres » est évidement reprise ici et constitue peut-être le chef d’œuvre de son auteur.
L’anthologie débute avec « Sam Hall » dans lequel un employé modèle du système informatique d’un univers futuriste totalitaire introduit, presque par jeu, un bug dans la machine en créant de toutes pièces un révolutionnaire mystérieux nommé Sam Hall. Un nom puisé dans une vieille chanson populaire anglaise. A force manipulations, Sam Hall acquiert une sorte de pseudo-existence : tous les crimes sont imputés à ce criminel insaisissable et les membres d’un réseau de résistance clandestin se l’approprient pour signer leurs méfaits. Quoique la technologie ait évolué, la nouvelle qui date de 1953 (et fait écho à la Guerre de Corée et au Maccarthysme) reste étonnamment moderne plus de soixante ans après sa rédaction et son sujet (manipulations gouvernementales, falsification de l’information, oubli numérique, etc.) demeure toujours d’actualité. Un classique de la dystopie.
Le court roman « Jupiter et les centaures », précédemment publié dans la collection « Etoile Double» aux côtés d’une novella de Sheckley décrit la manière d’explorer Jupiter en utilisant des avatars (la référence à un « classique » récent de la SF cinématographique n’est point innocente tant les intrigues sont similaires).
« Long cours » valu à son auteur un de ses nombreux prix Hugo: un récit d’exploration maritime dans un monde dans lequel on se souvient encore, mais à peine, de la Terre, planète-mère. Le capitaine d’un navire découvre un astronef en partance menaçant, par sa seule existence, le futur de ce monde. Comment réagir ? De la SF intelligente et efficace.
Autre gros morceau, « Pas de trêve avec les rois », obtient lui aussi le Hugo : cette longue nouvelle (90 pages) précédemment publiée en français dans l’anthologie HISTOIRES DE GUERRES FUTURES raconte un affrontement entre deux camps, façon Guerre de Sécession, dont l’un bénéficie d’un appui extraterrestre.
Récit de vengeance très efficace tempéré par la découverte des rites étranges d’une planète étrangère (dont du cannibalisme rituel), l’excellent « le partage de la chair » n’a pas volé son prix Hugo et demeure un des meilleurs récits d’Anderson.
Mi sérieux, mi humoristique, en tout cas toujours sarcastique (pour ne pas dire grinçant), « Destins en chaîne » projette son héros, Bailey, dans une série de réalités alternatives dans lesquelles il se débat jusqu’à la mort. Dans l’un de ces univers parallèle, la simple expression artistique peut vous conduire en prison, dans un autre l’Etat a consacré les inadaptés de tous poils au point qu’ils peuvent revendiquer ce statut et vivre une existence oisive. Mais les simulateurs se multiplient, se prétendant eux aussi malades mentaux afin de bénéficier de l’Etat providence. Les homosexuels ayant déjà réussi à obtenir cette reconnaissance, les Noirs envisagent de s’associer aux Juifs souffrant de discrimination tandis que les prophètes de religion folklorique prêchent à tout va…et pas question d’y trouver à redire car ces religieux risqueraient, sinon, des dégâts psychiques irréparables. Une plongée pas toujours très politiquement correcte (et c’est tant mieux) dans une poignée de sociétés utopiques (ou dystopiques selon les sensibilités) qui se termine dans un monde post-apocalyptique d’apparence paradisiaque après l’anéantissement, par une épidémie, de 95% de l’Humanité. Un excellent texte peut-être encore davantage actuel aujourd’hui qu’à l’époque de sa rédaction.
Autre novella illustre, « La reine de l’air et des ténèbres » a récolté le plus prestigieux des triplets de la SF : Hugo, Nebula et Locus. Nous sommes sur Roland, une planète lointaine colonisée par l’Homme. Un seul détective y exerce, Eric Sherrinford, contacté par une mère afin de retrouver son enfant enlevé par ce qui pourrait être des représentants du Vieux Peuple. Mais Sherrinford refuse d’accorder foi à ces anciennes superstitions celtiques…Une œuvre très efficace, sorte de transposition science-fictionnelle des légendes jadis contées par Arthur Machen.
Plus court, « Le chant du barde » obtint également le Hugo et le Nebula, finissant à la troisième place du Locus. Inspiré par les nouveautés science-fictionnelles lancées par Harlan Ellison, Anderson décrit un monde sous la domination d’un ordinateur omniscient, SUM, lequel enregistre les vies de tous les Humains et leur promet la résurrection un jour prochain. Mais un harpiste se confronte à l’avatar humain de SUM, la Reine Noire et cesse de croire en ses promesses. Une nouvelle dans laquelle Anderson démontre son originalité tout en s’inspirant de nombreux mythes antérieurs et en truffant son texte de citations littéraires. Très réussi.
Le recueil se termine par le court roman « Le jeu de Saturne », sorte de critique assez virulente des jeux de rôles et autres psychodrames auquel je n’ai personnellement pas accroché. Ce n’est pas grave, le reste était très bien.