TOMYRIS ET LE LABYRINTHE DE CRISTAL de Oksana & Gil Prou
Publié le 21 Mars 2021
Dans le vaste monde de la littérature de Fantasy, la Fantasy historique reste un sous genre assez rare dans les rayonnages. Entendons par ce terme de « fantasy historique » un livre historiquement précis mais agrémenté de passages plus axés sur l’imaginaire où interviennent la magie, des créatures fabuleuses, des divinités, etc. On pense à plusieurs cycles de David Gemmell (celui de TROIE ou du LION DE MACEDOINE consacré à Alexandre le Grand), à de nombreux romans de Guy Gavriel Kay et, pour la France, à plusieurs œuvres de Pierre Pevel ou Thomas Day. N’empêche, le genre s’avère nettement moins prolifique que, par exemple, la High Fantasy (d’inspiration Tolkien) ayant généré des centaines de sagas à base d’élu, de mage barbu fumeur de pipe et de seigneur des ténèbres en passe de se réveiller. TOMYRIS ET LE LABYRINTHE DE CRISTAL apporte donc une certaine fraicheur à la Fantasy par son ancrage historique rarement exploité : nous sommes au VIème siècle avant JC et la reine Tomyris décide de tenir tête aux armées de Cyrus le Grand, lequel dispose d’une troupe d’invincibles guerriers surnommés les Immortels.
Le roman se veut, tout d’abord, fidèle à l’Histoire. Il a certainement nécessité beaucoup de recherches ce qui reste appréciable quoique cet excès de détails s’effectue, parfois, au détriment de la fluidité de lecture. Les auteurs décrivent longuement cet univers peu connu (la Perse du VIème siècle avant JC n’a pas l’importance, dans l’inconscient collectif, du Moyen-âge européen ou de l’Empire romain), ce qui implique de nombreux détails assortis de fréquentes notes de bas de page. Ce choix peut se comprendre et se défendre : comme déjà signalé les aspects historiques dominent largement sur les éléments de fantasy et il s’agit de construire un monde qui, pour le lecteur lambda, sera aussi dépaysant que la Terre du Milieu ou les Sept Royaumes. Les techniques militaires, les religions et leurs divinités, les lieux visités,… tout est explicité pour offrir le background le plus solide possible. Les personnages, eux aussi, sont nombreux : beaucoup ont réellement existé tandis que d’autres sont inventés pour les besoins de l’intrigue et de sa progression. Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver (noms complexes, multiplication des protagonistes) et le lecteur peut, là aussi, se sentir noyé sous les détails mais, à condition d’effectuer un petit effort, l’ensemble, finalement, passe bien. Car un des problèmes de la Fantasy, à l’heure actuelle, réside dans sa simplicité : le genre est, souvent, tellement « facile à lire » (avec cette fameuse branche dédaigneusement qualifiée de Big Commercial Fantasy) que le lecteur peut se sentir un peu perdu devant un texte plus exigeant. Pas de décor médiéval fantastique, pas de progression décidée à coup de dé20, pas de prophétie et d’élu armé d’une épée trop puissante pour défaire le grand méchant sorcier,… TOMYRIS ET LE LABYRINTHE DE CRISTAL demande un certain effort pour s’apprécier. Le roman use, en outre, d’un style très (trop ?) recherché qui permet d’enrichir son vocabulaire et ses nombreux termes rares lui donnent un côté littéraire le distinguant, là aussi, de la fantasy de consommation courante.
Bref, au risque d’à nouveau se répéter, la démarche des auteurs rappelle celle de Gemmell dans son cycle consacré au LION DE MACEDOINE : un récit historique rigoureux peu à peu contaminé par la magie et le fantastique même si ces éléments restent distillés avec parcimonie. Du moins dans les 300 premières pages car les cent dernières donnent bien davantage dans le fantastique et ne suivent plus Tomyris : cette rupture de ton, qui nous conduit au labyrinthe de cristal, peut déstabiliser. Personnellement il ne m’aurait pas déplu de rester dans un registre plus réaliste mais d’autres apprécieront sans doute ce final plus porté sur l’imaginaire. Question de point de vue. En tout cas voici un dépaysement appréciable en ces temps chagrins.