LE REGARD de Ken Liu
Publié le 1 Mars 2019
Après l’exceptionnel L’HOMME QUI MIT FIN A L’HISTOIRE, Ken Liu (chouchou des éditions Le Belial) revient dans la formidable collection « Une heure lumière » avec une novella de haute volée mélangeant polar cyberpunk et anticipation.
L’écrivain nous propose ici de découvrir une détective, Ruth Law, « améliorée et augmentée » par diverses technologies illégales qui accroissent ses capacités. Elle porte aussi un « régulateur », un gadget capable de gérer ses émotions et de lui assurer une neutralité complète lors de ses enquêtes. Le seul moyen pour Ruth de surmonter un drame personnel. Le « régulateur » ne peut, normalement, être utilisé qu’un temps limité par jour mais Ruth le laisse fonctionner en permanence afin d’anesthésier totalement ses émotions. Cela va lui être bien utile pour une nouvelle investigation : retrouver le meurtrier d’une prostituée asiatique énuclée par un serial killer mystérieux. Mais cela risque également de la détruire psychologiquement.
Avec cette longue nouvelle (ou court roman) situé à Boston dans un futur proche, Ken Liu s’inscrit dans la tradition des polars science-fictionnelles conjuguant une ambiance de films noirs à l’anticipation cyberpunk. A la manière du classique BLADE RUNNER ou des plus récents CARBONE MODIFIE et QUANTUUM, Ken Liu empreinte aux policiers « hard boiled » d’antan (Chandler, Spillane, etc.) une intrigue complexe (meurtre de prostituées par un tueur en série aux motivations apparaissant peu à peu) et l’infuse dans un univers à la fois futuriste et crédible. Sa principale innovation réside dans ce « régulateur » d’émotions portée par l’enquêtrice, forcément dépressive et marquée par un tragique événement personnel. Une manière d’apporter l’originalité de la SF cyberpunk à un récit sinon classique quoique très efficace.
Si l’auteur n’évite pas certains clichés, il démontre également sa capacité à ficeler une intrigue à la fois intelligente et divertissante auquel on pardonnera, par conséquent, l’une ou l’autre invraisemblance ou facilités. En alternant les points de vue de la détective « augmentée » et ceux du tueur en série, Ken Liu maintient l’intérêt au fil d’un récit enlevé qui, sous couvert d’une enquête classique, pose des questions sur le futur proche de l’humanité et ce fameux transhumanisme si cher aux auteurs cyberpunk.
Beaucoup moins ambitieux que L’HOMME QUI MIT FIN A L’HISTOIRE, ce REGARD n’en demeure pas moins un texte très plaisant qui confirme tout le bien que l’on pense de ce nouveau cador de la science-fiction.