BLACK HAMMER TOME 1 - ORIGINES SECRETES de Jeff Lemire & Dean Ormston
Publié le 1 Février 2018
Lorsque Jeff Lemire imagine BLACK HAMMER, voici une dizaine d’années, il ne pense pas pouvoir un jour illustrer de « véritables » comics super héroïques, autrement dit l’auteur se désespère de travailler pour Marvel ou DC. Plutôt que se lamenter sur son sort, Lemire décide de créer ses propres personnages, un peu à la manière du WATCHMEN d’Alan Moore, pour livrer sa vision, à la fois personnelle et référentielle du monde des encapés. Comme la naïveté initiale des récits n’est plus (tout à fait) de mise en ce XXIème siècle adepte de la déconstruction des mythes et du « méta », Lemire dépoussière la bande dessinée super-héroïque en la rendant plus mâture et en abordant certaines thématiques jadis taboues (notamment liées à la sexualité de ses héros). Mais l’auteur assume également ses clins d’oeils et références, lesquels vont de l’Age d’or (les Marvel « guerriers », la Justice Society of America, etc.) à La créature du Marais en passant par la science-fiction rétro (un robot décalque le Robbie de « Planète Interdite ») et une sorcière tirée des TALES FROM THE CRYPT
Après une ultime bataille au cours de laquelle ils ont sauvés la ville de Spiral City du terrible Anti Dieu, une poignée de combattants aux supers pouvoirs se retrouvent piégés dans une réalité alternative, au cœur d’une bourgade toute droit sortie d’un tableau d’Americana. Nous y retrouvons Abraham Slam (inspiré par Captain America et le Widcat de la Distinguée Concurrence), boxeur ayant mis ses talents au service du monde libre et du mode de vie américain. A ses côtés, Gail, jeune fille ayant reçu des pouvoirs divins par un grand sorcier (un hommage à Shazam / Captain Marvel) mais éternellement coincée dans son corps juvénile. En dépit de ses désirs très féminins, Gail doit aller à l’école pour ne pas éveiller la méfiance des locaux. De son côté, Barbalien, alias Mark Marz, guerrier métamorphe martien calqué sur le Martian Manhunter dissimule à la fois sa nature extra-terrestre et son homosexualité. Madame Dragonfly, la sorcière au lourd fardeau, garde une étrange cabane du mystère tandis que l’ombre de Black Hammer, supposé décédé, plane sur cette famille dysfonctionnelle. Enfin, nous découvrons le Colonel Weird, prototype du soldat de l’espace à la Adam Strange cher aux space opéra du temps des pulps.
Très joliment illustré par un Dean Ormston sachant, lui aussi, capturer l’essence de la bande dessinée américaine de l’âge d’or, BLACK HAMMER constitue une belle déclaration d’amour aux comics qui prouve qu’un auteur talentueux peut encore renouveler le genre, en apparence sclérosé, de la saga d’encapés. Loin de l’action trépidante et des pleines pages de « pif paf kaboom », l’important réside ici dans la psychologie des personnages et leur évolution, leur histoire, souvent tragique, étant ponctué de flashbacks les resituant dans leurs époques respectives précédant la grande « Crisis » les ayant catapultés dans ce bled perdu des Etats-Unis.
Bref, Lemire signe véritablement une réussite totale appelée à devenir, on l’espère, à son tour une référence. A condition que la suite (attendue pour 2018) soit aussi réussie, nul doute que BLACK HAMMER aura sa place dans toute BDthèque qui se respecte et saura plaire à la fois aux inconditionnels des super-héros comme aux réfractaires au genre.
Comme d’habitude, l’édition Urban se montre en outre excessivement soignée avec de nombreux bonus intéressants (fiche de personnage, notes diverses, couvertures originales) pour un prix modique (proposé à 15 euros, le prix de lancement était de 10 euros !) : un sans-faute à tous les niveaux